Portrait

TILT ! Le spécial de la fourchette

Tilt est un projet présenté comme « personnel » par le flûtiste Joce Mienniel. Le premier qu’il compose, invente et dirige seul.


Tilt est un projet présenté comme « personnel » par le flûtiste Joce Mienniel. Le premier qu’il compose, invente et dirige seul. Habitué aux collaborations en binôme, formule qui lui convient par sa forme de discussion, de débat, de recherche d’un langage commun, il décide avec Tilt de s’exposer seul, de prendre tous les risques.

De cette recherche de sens, de rythme et d’un langage commun viennent les idées, souvent jaillissantes et multiples. Pour l’Ensemble Art Sonic par exemple, une fois créé ce quintette à vent à la nomenclature bien spécifique, le travail avec Sylvain Rifflet a consisté à déterminer la ligne artistique en rapport avec une culture et un bagage musical communs [1] et à choisir les personnalités, aussi atypiques que la musique.

Pour ce qui est de l’écriture proprement dite, en revanche, pas de concertation avant la découverte des morceaux. Une affaire de confiance entre partenaires, comme toujours avec Sylvain Rifflet. C’est également au sein d’Alphabet que cette confiance permet à chacun de « participer à la singularité du projet, en transformant les arrangements et les univers à sa manière et sur son instrument ». Les choses se font et se défont au gré des concerts et du temps. Bombay Offshore, lui, est sur le modèle des duos d’écriture de chanson ou de pop. Sophie Bernado signe les textes et Joce Mienniel les musiques dans un métissage entre hip-hop et musique du monde.

Enfin, Paris Short Stories, publié sous son nom, réunit des personnalités autour d’un répertoire écrit par d’autres. Ce sont des petits plaisirs pour le flûtiste que « d’imaginer des relectures de pièces adorées, analysées, disséquées et écoutées des centaines de fois, et d’en proposer une nouvelle vision orchestrale ».

Tania de Montaigne (France Inter) a déclaré qu’elle voyait Mienniel comme « un mécanicien qui démonterait un moteur pour garder l’ossature et déciderait à partir de là avec quelles pièces détachées il voudrait travailler pour reformater le morceau ». Et en effet, il aime écouter et faire écouter la musique de manière analytique, en pointant chaque élément du son, chaque timbre de l’instrument. Il fait ce même travail avec Art Sonic, en adaptant les pièces « Xiasme » d’Edward Perraud, « Herbes luisantes » d’Antonin-Tri Hoang ou « Les scélérates » de Fred Pallem.

Avec TILT, il n’est plus question de cela, mais d’une nouvelle musique, totalement personnelle, sans figure imposée ni cadavre exquis. TILT est un orchestre sans basse, « à la dimension plus aérienne, plus proche du son de la flûte, et qui casse ainsi les règles et les réflexes de jeu ». L’idée dominante est d’avoir, cette fois, un son électrique - ni acoustique, ni électronique. La musique est plutôt « progressive », avec des ambiances et des mélodies qui s’enchaînent sans retour en arrière, et des formats de suites d’environ vingt minutes qui permettent d’entrer dans une transe par le son et la durée. Passionné de musique indienne, Joce Mienniel est fasciné par les ragas, en particulier ceux de Pandit Hariprasad Chaurasia qu’il a travaillés, analysés et joués à la flûte. Il y « trouve une contemplation et une poésie difficile à reproduire dans d’autres styles musicaux, à cause de cette sensation d’un temps très extensible et de ces modes harmoniques si caractéristiques ». Ici, c’est plutôt le rock progressif de l’école de Canterbury des années 60-70 qui l’inspire, tels les premiers albums de Soft Machine ou de Matching Mole. Il tente de fixer la lenteur d’un style comme le trip-hop, avec une couleur très marquée, électrique et tendue, inspirée par les Black Keys. « Ce n’est pas une musique modale, mais sa lenteur symptomatique et maîtrisée crée une contemplation et un rythme intérieur ralenti. C’est une écriture ouverte qui laisse la liberté d’entrée et de sortie aux musiciens à l’intérieur de la partition. C’est aussi également improvisé et très interactif. »

Le quartet comprend Sébastien Brun (batterie), Jozef Dumoulin (Fender Rhodes) et Guillaume Magne (guitare). Leur interactivité et leur autorité musicale sont les qualités recherchées par le leader : « Ils allient une force tellurique avec une part de poésie et de fragilité qui me touche chaque fois que je les entends ». Il aime chez Sébastien Brun la façon de retenir les frappes et de jouer avec le silence, ses impacts lourds, sans after beat ni retenue, avec de l’espace, qui créent un suspense dans la musique. Il considère Guillaume Magne, comme possédant un des plus beaux sons de guitare de ces dernières années. Son univers de « note tenue qui traîne au loin » est un véritable travail d’orfèvre. De culture plus rock, c’est cette rugosité dans la matière orchestrale qui est souhaitée par le flûtiste. Enfin, Jozef Dumoulin a été choisi pour son côté « peintre », pour les couleurs qu’il donne à entendre, les chocs rythmiques, thématiques et sonores vers lesquels le pousse son inspiration. « Je suis persuadé qu’en lui apportant des formes précises dans ma musique, il prendra la liberté de les contourner et de leur donner une nouvelle apparence, sans compter ses chorus incroyables qui vous mettent dans un état intérieur unique ».

Quant à Joce Mienniel soi-même, leader et quatrième larron, il joue de la flûte et du Korg MS 20. Il considère la flûte comme une voix humaine, parfois pure, parfois déchirée, mais racontant toujours une histoire. Dans Tilt, il utilise quelques effets de distorsion et de radio pour mettre du relief, en corrélation avec ce qu’apporte les autres musiciens. En revanche, le Korg lui apparaît comme une extension électrique de sa flûte. « C’est un synthétiseur monophonique qui me permet d’aller plus loin qu’avec mon instrument acoustique, même s’il est trafiqué via un ampli et plein d’effets. J’ai trouvé dans le MS 20 une résonance parfaite à ce que je cherche dans la matière et la puissance de jeu. Avec Tilt, je veux développer un son électrique donc il me faut aussi un instrument de cette famille, sans compter que je m’en sers pour faire intervenir des fréquences de basses. ».

Tilt existe sous forme de maquettes, première étape de travail. Des concerts (nécessaires à la cohésion du groupe) sont prévus (au Pannonica et au Cirque électrique), et l’enregistrement aura lieu en février 2015. Le disque sortira sur le label Drugstore Malone de Joce Mienniel avant l’été ; ce sera la cinquième référence du catalogue. La musique pourra se classer dans la catégorie jazz, voire de musique actuelle minoritaire. « Je trouve que cette idée de musiques actuelles minoritaires est un superbe reflet du « jazz en France ». Il est nourri de plein de cultures différentes, libre, créatif, fou, ingénieux, osé, fascinant, vivant, exigeant, sans concession et très « démerdard ». On se nourrit tous des autres et de son expérience propre, et je me dis que les choses seraient plus difficiles pour moi si j’étais isolé dans un endroit avec peu de culture à aller voir et entendre. C’est LA raison pour laquelle j’habite à Paris, je pense ».

Quant à Drugstore Malone, sa structure de production et de diffusion, l’avenir est dégagé. L’équipe composée de Joce Mienniel, Marianne Larrieu, Gilles Olivesi et Boris Darley est soudée. Toujours partants pour de nouveaux défis, prêts à partager, ils permettent une grande liberté artistique au flûtiste. « On est très proches, comme une famille, et je suis certain que c’est une longue histoire qui commence. Ça ne fait que 4 ans, et déjà, la sensation d’unité est très forte. J’en profite pour les embrasser sur cette tribune publique ! »

Après la première soirée Drugstore qui a eu lieu au Studio de l’Ermitage pour la sortie des EP de Bombay Offshore et de Wasteland (soirée qu’il est question de rééditer l’an prochain), d’autres projets sont à l’étude. Une web radio avec des émissions en public et des concerts, ou encore un portail de spécialités gastronomiques, avec des adresses, des recettes… « Je suis cuisinier de formation et j’ai gardé beaucoup de contacts dans ce milieu. La créativité y est tout aussi incroyable que dans notre musique et les ponts qui peuvent être faits sont sans limite ». Un label pour faire découvrir des associations et des accords de goût. « Composer une pièce de musique, c’est comme élaborer une sauce parfaitement équilibrée en tout point. Texture, densité, longueur en bouche, couleur et force olfactive ». Avec peu de moyens et des ambitions simples, sincères, musicales et profondes, Joce Mienniel voit son activité « comme un cercle vertueux, dont les gens et les artistes qui travaillent avec nous devront bénéficier à l’avenir ».

TILT en concert :

  • Vendredi 5 décembre 2014 au Pannonica de Nantes
  • Jeudi 18 décembre 2014 - Soirée COAX au Cirque électrique à Paris

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par Matthieu Jouan // Publié le 1er décembre 2014

[1Amorcé en duo avec « L’Encodeur », basé sur le souffle et le son des clés.