Scènes

Isabelle Cirla, Joël Trolonge et le cœlacanthe

Clarinette basse et contrebasse autour d’un poisson


Isabelle Cirla et Joël Trolonge par Gilles Gaujarengues

Voici plus de trente ans que Jazz sur son 31 dissémine un peu partout dans la Haute-Garonne des concerts de jazz chaque automne. Depuis deux ans, la programmation peut décevoir. Il reste heureusement quelques concerts d’excellente qualité. Ore, petit village des Pyrénées, accueillait l’un d’eux.

C’est sous un ciel gris et pluvieux et quelques rafales de vent qu’on arrive jusqu’à Ore, petit village du piémont pyrénéen tranquillement situé à flanc de colline entre Luchon et Montréjeau. C’est ici, dans le sud de la Haute-Garonne, à quelques kilomètres du val d’Aran, que le festival Jazz sur son 31 a programmé le duo d’Isabelle Cirla et Joël Trolonge. Et tout ça est bien fait car lorsqu’on passe la porte, la salle des fêtes, qu’on imagine volontiers morne et sans saveur, se trouve être transformée en un véritable club de jazz. Des rideaux noirs qui masquent les murs, une série de photos et quelques tables rondes disséminées bien comme il faut dans la salle, donnent un côté cocon fort agréable. Quelques bricoles, mais ça suffit à donner une ambiance. On s’y sent bien et c’est loin d’être anodin.
Les premiers spectateurs – des collégiens venus d’Aspet accompagnés de parents et d’enseignants – s’installent devant et, petit à petit, le public prend place. Il n’y a pas grand monde mais loin des agglomérations (Toulouse et Tarbes sont à une centaine de kilomètres), c’est tout de même quelque chose. L’ambiance est douce, tranquille et quand Isabelle Cirla et Joël Trolonge entrent en scène, c’est sans un mot. Il s’agit de discrétion et d’humilité et on sent que derrière il y a une grande considération pour le public.

Le projet est fort original.
C’est à la fois un duo acoustique avec deux instruments basses, en l’occurrence la clarinette basse et la contrebasse, auxquels sont associées des plages électroniques donnant à entendre, entre autres, un sonar et un discours scientifique sur le cœlacanthe. D’ailleurs, on apprendra que le projet est également produit par les Muséums d’histoire naturelle de Paris et Toulouse. Bref, au centre, un poisson vieux de quelques 350 millions d’années, qu’on a cru disparu et qu’un pêcheur sud-africain a remonté dans ses filets en 1938. Un poisson qui est d’un gabarit somme toute considérable puisqu’il peut avoisiner les deux mètres. On apprendra aussi qu’il vit vers 150 mètres de profondeur. Il ne s’agit pas d’abysses mais c’est suffisamment profond pour que les musiciens aient fait le choix d’évoquer ce drôle d’animal dans les graves. On nous dit qu’il se déplace plutôt lentement. Le parallèle est fait, bien entendu, de manière tout à fait judicieuse.

La musique n’est en effet pas bonhomme – et celles et ceux qui suivent les carrières d’Isabelle Cirla et Joël Trolonge seraient étonnés du contraire – mais il s’agit tout de même d’une déambulation débonnaire dans l’Océan. Les musiciens avancent les termes de « création de paysages sonores » pour évoquer leur travail et ce concert-récit est aussi une manière de « prendre conscience de l’aspect sonore de la vie ».

Le tout se termine avec un bord de scène et une belle palanquée de questions sur le cœlacanthe, l’improvisation, les techniques de souffle et les paliers de décompression. Justement, Ore ce jour-là offrait lui aussi un palier de décompression comme il faudrait sur terre et sous l’eau.