Chronique

Alban Darche

Le Gros Cube #2

Label / Distribution : Yolk Records

Il semble loin, le temps de la Martipontine, il y a seize ans, quand débarquait sur nos platines un jeune orchestre ligérien sur le non moins juvénile label Yolk. Le Gros Cube d’Alban Darche se présentait comme une nouvelle variation du Cube, ce quintet fondateur, cette Autorité Culinaire où l’on trouvait déjà Sébastien Boisseau, Christophe Lavergne et Geoffroy Tamisier.

La Martipontine, c’était, sans doute pour beaucoup, la révélation d’un Darche concepteur de grand orchestre. La recette est simple et efficace, reconnaissable instantanément : une écriture fine, ciselée, pleine d’humour et d’images, comme ici, dans le Gros Cube #2 lorsque sur « Ping Pong » la pianiste suisse Marie Krüttli joue un ostinato tout doux, qu’on croira débarqué d’un rêve gourmand de l’Orphicube, pour percer la rythmique impitoyable de Lavergne ou caresser l’alto si anguleux de Loren Stillman, un pilier des récents avatars du Liberation Music Orchestra. Tout est là, depuis toujours, jusque dans les envolées felliniennes de « Arcane XV : le diable » où Tamisier et Olivier Laisney s’offrent des soli de trompette dans un pupitre de cuivres réglé par l’impeccable Joël Chausse, décidément l’un des meilleurs musiciens hexagonaux de big-band actuellement.

Parce que le Gros Cube a changé ; ou plutôt, il a fait sa mue, il offre une nouvelle face. On retrouve certes un noyau - un barycentre, pour rester géométrique - de ses premières années de Yolk, auquel il faut ajouter les inévitables Matthieu Donarier, Gilles Coronado, remarquable sur « Beauty And Sadness II », et le tromboniste Jean-Louis Pommier. Mais sinon, l’orchestre où la couleur est fortement dominée par les cuivres, ce qu’on entend dans le brillant « Arcane XVIII : le soleil », a considérablement changé. Les paris d’avenir sur les jeunes musicien·nes ne s’appellent plus Airelle Besson mais Marie Krüttli. Pour le reste, qu’il choisisse des thèmes aux noms de cartes de tarot ou qu’il injecte des morceaux de son bel Orphicube (« L’Oiseau qu’on voit chante sa plainte »), Alban Darche recombine son Cube à l’aune des années passées : un peu d’Hyprcub et de Pacific avec Jon Irabagon et Samuel Blaser, quelques touches du Tombeau de Poulenc avec Matthias Quilbault et une manière toute personnelle de faire l’orchestre. Une simplicité et un sens du détail qui doivent beaucoup à l’approche cinématographique du saxophoniste qui nous offre par ailleurs dans « Le Chemin (Vertueux) » l’un de ses plus beaux soli, posé avec légèreté sur la mécanique d’un orchestre attentif.

Elle est toute proche, la Martipontine, parce qu’Alban Darche ne s’est jamais perdu en route. Le Cube est une projection de tout ce qui s’est passé depuis 15 ans, et le Gros Cube a toujours eu fonction de bilan, mais aussi d’envies à venir ; en témoigne « Le Cercle », morceau final où le saxophone ténor part comme à l’aventure, aux avant-postes d’un orchestre qui agirait comme une chambre d’écho. Le grand talent de Darche, c’est de toujours se renouveler avec une joie gourmande et enfantine, sans jamais diluer son identité. Le Gros Cube #2 en est la preuve tangible, qui tire un fil tendu comme les arêtes d’un Cube entre tous ses orchestres passés et à venir. C’est aussi un petit miracle d’orfèvrerie avec des artistes tout acquis au projet, comme le sont toujours, de Polar Mood au Pax, les membres du Gros Cube.

par Franpi Barriaux // Publié le 28 mars 2021
P.-S. :

Loren Stillman, Jon Irabagon (as), Alban Darche (ts), Matthieu Donarier (ts, cl, bcl), Rémi Sciuto (bs, fl), Joël Chausse, Geoffroy Tamisier, Jean-Paul Estiévenart, Olivier Laisney (tp), John Fedchock, Jean-Louis Pommier, Samuel Blaser (tb), Matthias Quilbault (tu), Marie Krüttli (p), Gilles Coronado (g), Sébastien Boisseau (b), Christophe Lavergne (dms)