Chronique

Camille Thouvenot Mettà Trio

InTriospection

Camille Thouvenot (p, arr), Christophe Lincontang (b), Andy Barron (d).

Label / Distribution : Jinrikisha / Inouïe Distribution

Camille Thouvenot aime les mots-valises. Son précédent disque avec le Mettà Trio, une formation créée voici plus de huit ans avec le contrebassiste Christophe Lincontang et le batteur Andy Barron, avait pour titre Crésistance (Jinrikisha - 2021), dans une sorte d’appel à la résistance par la création. Dédié à ses différentes inspirations musicales, InTriospection mêle quête intérieure et travail exploratoire au sein d’une cellule dont le pianiste affectionne depuis longtemps la formule (souvenons-nous par exemple des deux disques d’un autre trio, Dreisam : Source en 2014 et Up Stream en 2018), dans une quête permanente de l’équilibre.

À l’instar de son prédécesseur, ce nouveau rendez-vous discographique mêle compositions originales (dont l’une est dédiée au regretté Mario Stantchev) et trois reprises (« Whisper Not » de Benny Golson, « Concrete Jungle » de Bob Marley, et « My Favorite Things » de Rodgers et Hammerstein). Camille Thouvenot sait vous prendre par la main pour vous inviter à laisser de côté les brutalités du monde. Histoire de vivre pleinement chaque instant, en recourant à toutes les nuances de la palette de ses émotions. Il y avait dans Crésistance un climat sensible et raffiné, jamais languide pourtant, et une part de romantisme par la contemplation. N’oublions pas que Mettà est un mot qui symbolise l’harmonie, la douceur et la bienveillance dans la langue indo-européenne pāli. Dans une veine assez proche (mais sans le recours au « design sonore » mis en œuvre par Audrey Podrini tout au long de Crésistance), InTriospection n’est en rien une redite mais plutôt la suite d’un chemin enluminé. Voilà une nouvelle occasion d’aller à la rencontre d’une formation gonflée d’une énergie communicative, jusque dans l’hommage à Mario Stantchev qui ne cède pas à la facilité d’une émotion trop vive. Bien au contraire, le trio se laisse porter, dans cette composition, mais aussi de manière générale, par un envol volontiers joyeux (sans légèreté toutefois parce qu’affleure de façon permanente une coloration méditative, celle de l’introspection), à l’image de l’univers de ce musicien d’origine bulgare qu’il avait pu côtoyer, comme bon nombre de ses pairs, du côté de Lyon. Camille Thouvenot traverse avec d’autant plus de grâce toutes les histoires de jazz qui lui tiennent à cœur (on peut se livrer si besoin au jeu des citations musicales tout au long du disque) qu’il est parfaitement soutenu par une paire alliant pulsion et multiplication des nuances, aussi bien rythmiques qu’harmoniques.

Cette conversation à trois est séduisante, du début à la fin. Et puisqu’il était question un peu plus haut d’émotion, notons au passage un autre bel hommage rendu cette fois au Suédois Esbjörn Svensson, « BBB », dont on sait à quel point il a pu imprimer une marque indélébile dans l’histoire du jazz contemporain. Tous ces regards appuyés en direction de ceux qui ont jalonné son parcours permettent alors mieux de comprendre que Camille Thouvenot est non seulement un musicien de grand talent, mais qu’il façonne avec discrétion une œuvre marquée par une indéniable humilité.