Chronique

Gayle, Graves, Parker

WEBO

Charles Gayle (ts), William Parker (b), Milford Graves (d, voc, perc)

Label / Distribution : Black Edition

On se pince. Dans le travail remarquable que réalise le label Black Editions Archive pour l’exploration des archives du regretté Milford Graves, on ne cesse d’être impressionné par la qualité du legs. Après un Children of the Forest remarqué, voici un orchestre inédit qui se présente à nous, fort de deux heures de free total. Joyeusement brutal, nous disent les notes de pochette. Dans cet enregistrement de 1991 à New-York, on retrouve bien entendu Milford Graves, qui maîtrise la pluie fine comme le tonnerre tout au long de ce live florissant. Ses compagnons sont deux habitués de la joute, d’abord le saxophoniste Charles Gayle, qui nous a quittés en 2023, tonitruant et grasseyant à la crête de la vague, et un William Parker qui distribue les gifles quand il ne joue pas avec les infrabasses de l’archet. C’est puissant, intense. Le ténor est un poing fermé qui frappe au plexus sur l’ensemble des morceaux quand Graves s’occupe des contrecoups, des chocs, de l’onde inhérente sans jamais faiblir.

Il ne faut pas croire, cependant, que cette musique est un taureau fou qui foncerait dans la masse. Il y a une sculpture fine dans ce chaos. Une rythmique subtile dans le déluge de cymbales. Un instant de pizzicati plus rond lorsque le ténor s’éteint sur le fil, comme une dernière braise qui se consume. Un jeu presque détendu de Gayle qui éclot au mitan de la transe sauvage. Si les composantes diffèrent, tout comme le temps alloué, l’alchimie est la même, étourdissante comme un alcool fort. La grande réussite ici, c’est de ne jamais céder à une démonstration musculeuse où chacun joue contre l’autre. C’est à ce titre, sans doute, que l’on peut rapprocher ce trio de ceux d’Albert Ayler, dont Graves fut un compagnon de route. Il n’y a pas d’animosité, juste une rage collective, un exutoire qui ne dirige pas contre, mais libère et émancipe, comme la nécessité d’un cri primal.

On sait que Charles Gayle a toujours goûté les trios basse/batterie ; c’est une orgie. Quelques mois après cet enregistrement, on le retrouvera avec Parker aux prises avec Sunny Murray (Kingdom Come) ou Rashied Ali (Touchin’ on Trane). Mais il y a avec Graves quelque chose de plus organique, un recours à l’urgence qui tient de la pulsion de vie pétulante et rude, sans arrière-pensée ni spiritualité surfaite. Proposé en trois vinyles ou en téléchargement, ce concert est un tout qui ne peut uniquement s’envisager comme tel. C’est une trouvaille sans pareille dont on sort chamboulé.

par Franpi Barriaux // Publié le 25 août 2024
P.-S. :