Chronique

Graves / Doyle / Glover

Children of The Forest

Milford Graves (dms, perc), Arthur Doyle (ts, fl), Hugh Glover (perc, objets)

Label / Distribution : Black Edition

Si tous les amateurs de free jazz gardent dans leur cœur une place toute particulière pour le batteur et percussionniste Milford Graves, c’est parce que ce musicien récemment décédé a toujours étudié le rythme et la transe comme une science humaine et un réconfort, à travers le temps. C’est donc avec une certaine excitation que l’on a appris au début du printemps la parution de Children of The Forest sur le Black Editions Archive, qui édite le patrimoine colossal laissé par Graves. Double évènement que ce disque qui regroupe plusieurs enregistrements étalés entre janvier et mars 1976 : d’abord parce c’est une époque cruciale dans la carrière du rythmicien, entre ses différentes prestations en Europe et son voyage fondateur à Lagos, au Nigéria, en 1977. Ensuite parce que, dans la session enregistrée le 11 mars, on le retrouve en trio avec deux fidèles : d’abord le percussionniste Hugh Glover avec qui il enregistra Bäbi en 77, et surtout le bouillonnant saxophoniste Arthur Doyle qui offre à ce disque toute sa raucité.

Du premier, on notera tout le travail sur la transe, justement, qui apparaît clairement sur le magnifique « March 11 1976 III » où, alors que Doyle cherche la rupture à la flûte, Glover et Graves organisent une lancinante construction aussi spontanée que nourrie de traditions africaines et caribéennes ; même si le son reste relativement vintage (l’enregistrement a eu lieu dans le « laboratoire » de Graves), on se laisse submerger par ce travail polyrythmique. L’échange avec Doyle est plus direct, puissant et sauvage. Dans la forme en trio, l’approche de Doyle est le plein contre-pied à la direction prise par les percussionnistes : avec une vraie dureté aylerienne, le saxophoniste renverse la table non sans délices. L’échange avec Graves perdure en duo dans une confrontation fulminante où la rythmique de Graves cherche le point de fusion, guère éloigné du point de rupture (« January 24 1976 I », long morceau qui dit beaucoup de la complicité entre ces deux figures de nos musiques).

En toute fin d’album, Black Editions Archive nous offre un moment de pur délice avec un court morceau de Graves seul, attiré comme un aimant par ses cymbales, qui nous rappelle pourquoi le percussionniste est un musicien à part, tant grâce à son énergie qu’à sa capacité à bâtir des mécaniques subtiles dans un chaos maîtrisé. Un document des plus riches.

par Franpi Barriaux // Publié le 20 août 2023
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