Chronique

Erb / Baker / Rosaly

…don’t buy him a parrot…

Christoph Erb (ts, bs), Jim Baker (p), Frank Rosaly (dms)

Label / Distribution : Hat Hut

Nous ne ferons pas aux fidèles lecteurs de Citizen Jazz l’offense de leur présenter Christoph Erb. Voilà plusieurs années que nous relatons avec constance ses multiples rencontres, comme autant de cartes postales, avec la scène chicagoane dans ce qu’elle a de plus divers au sein de sa collection Exchange. Nous avions même interrogé le natif de Lucerne sur sa relation avec la grande ville de l’Illinois, jumelée avec la cité helvétique de la musique. Nous en avons beaucoup parlé, loué son jeu à la fois chaleureux et rêche, tel de la pierre de lave, au ténor et à la clarinette basse… Avec la sortie tant attendue de …don’t buy him a parrot…, c’est indubitablement la première fois qu’il pourra être écouté sans difficulté ; une édition sur le prestigieux label HatHut est par définition plus accessible qu’un tirage limité de Veto Records !

Il s’est fait attendre, cet album. Enregistré à Chicago en mai 2014, trois jours après le déjà ancien Bloom, il a subi les avanies du label à tranche orange récemment repris par Outhere, qui relance peu à peu le calendrier des parutions. Pour l’accompagner dans ce trio dépourvu de basse, le pugnace multianchiste a choisi un vieux compagnon, le pianiste Jim Baker, aperçu avec Michael Zerang. Il s’acquitte de son travail rythmique avec une vraie gourmandise. Sur « (Parrot, Figuring…) », il comble tout l’espace entre le ténor de Christoph Erb, bondissant et agressif, et la batterie fort inventive de Frank Rosaly. On a souvent entendu le percussionniste en binôme avec le contrebassiste Jason Roebke, notamment sur SACK avec Erb et Lonberg-Holm. Débarrassé de son double, Rosaly se fait plus conciliant sans se départir de sa rudesse. Sur le suave « For Canaries, Career Opportunities in The Mining Industry », alors que la puissance de la clarinette basse rappelle que nous avons à faire à l’un des spécialistes de l’instrument, sa sobriété et son goût pour les pulsations instables encadrent à merveille les débats. L’orchestre, très impliqué dans l’improvisation collective, dresse une passerelle transatlantique permanente qui n’a pas peur de laisser le flux et le reflux bouillonner, submerger les musiciens sans jamais les déstabiliser.

Par tous les aspects, …don’t buy him a parrot… est un épisode d’Exchange parmi d’autres, ni plus brillant, ni nimbé de davantage de mystères. C’est la force de Christoph Erb de documenter ses périples à Chicago avec un léger détachement, sans excitation malvenue ni forfanterie. Cet album a les deux pieds plantés dans une certaine tradition du free jazz, mais ces racines bouturées donnent des fleurs hybrides, aux senteurs nouvelles. Il consacre aussi, avec une jubilatoire évidence, le talent et la générosité du patron de Veto Records, délocalisé pour l’occasion dans le sanctuaire orange de son glorieux aîné. Nul doute que …don’t buy him a parrot… constituera dans sa riche discographie une borne décisive, entourée par des improvisateurs remarquables, et que les prochaines étapes à Chicago trouveront leur place dans les salles de spectacles françaises. On peut toujours rêver.