Chronique

Easel

Bloom

Christoph Erb (ts, bcl), Fred Lonberg-Holm (g, cello), Michael Zerang (dms, perc)

Label / Distribution : Veto Records

Quatre ans après avoir enregistré son premier Exchange, collection en forme de chronique de ses rencontres avec les musiciens de Chicago, le multianchiste de Lucerne Christoph Erb retrouve son premier comparse, Michael Zerang pour ce trio Easel. Le batteur, habitué du Chicago Tentet de Peter Brötzmann, rejoint Erb pour une immersion immédiate au plus profond de la musique de l’instant. Il y croise un autre membre du Chicago Tentet, le violoncelliste et guitariste Fred Lonberg-Holm. Celui-ci est, avec Erb, le musicien le plus présent dans cette collection (le remarqué Duope fut notamment Elu Citizen Jazz). Précisément, on peut considérer Lonberg-Holm comme le jumeau du Suisse. Tous deux sont animés par la même volonté de tailler le bruit brut pour façonner une masse ordonnée mais débordante d’électricité. A l’instar de Screw and Straw, duo des deux protagonistes, il y a dans Bloom une même de compacité véhémente, ici soulignée par le jeu enflammé et l’urgence des frappes versatiles de Zerang ; loin de tenir la chandelle, ce dernier est un véritable accélérateur de particules qui ensemence l’environnement proche (« Perigon »)

Onzième occurrence d’Exchange, Bloom nous parle de fleurs. On se souvient que sur Bottervagl, un précédent album en duo avec Jim Baker, les titres évoquaient des papillons. Dans ces trois longues plages enregistrées à l’issue d’une tournée aux Etats-Unis il est davantage question de cycles de pollinisation que de parfums ou d’harmonie primesautière. Dès « Corolla », qui ouvre l’album dans un éparpillement de peaux éraflées et de sifflements d’anches au milieu d’une électricité à la pesanteur exponentielle, on comprend vite que nul n’est là pour la cueillette. La musique oscille entre les boutures anarchiques et les friches riches de plantes coriaces. La parole de chacun s’étoffe peu à peu, jusqu’à l’irrespirable. Il en résulte un un tel mélange qu’on peine à distinguer le souffle écorché de la clarinette basse des bourdonnements de la guitare électrique ; l’ensemble fait penser au jeu éminemment bruitiste d’Otomo Yoshihide.

Bloom se conçoit comme une sorte de Power Trio où la basse s’échangerait tour à tour entre Erb et Lonberg-Holm. Leurs attaques sporadiques peuvent avoir la plus grande virulence et partir en tout sens (« Calyx »). Au centre du morceau, Erb semble recouvert à la fois par une guitare devenue incontrôlable et par le verre craquelé de Zerang. Tout est très vite contrebalancé par des instants contemplatifs où le dialogue reprend, soudain plus serein quoique toujours prêt à bondir. Avec Bloom, Christoph Erb confirme que ces Exchange ont trouvé une couleur propre et une vitesse de croisière, sans qu’il y ait jamais redite. Cela tient de l’exploit.