Christoph Erb
Rencontre avec le fondateur de Veto Records
Le clarinettiste et saxophoniste Christoph Erb appartient à cette scène suisse de Zürich ou de Lucerne qui s’impose depuis plusieurs années comme l’une des plus excitantes et les plus vivaces d’Europe. Spontanément, au milieu des Blaser, Schaerer, Niggli et autres Mengis, on pourrait songer que le nom d’Erb est quelque peu en retrait. Toutefois, il anime depuis huit ans le label Veto Records qui a su fédérer de nombreux musiciens autour d’une musique exigeante et créer une forte identité. La création de la collection Exchange, née du jumelage de Lucerne et Chicago, a aussi permis de jeter de nouvelles passerelles entre cette ville et l’Europe, et de densifier ses rencontres : Michael Zerang, Jason Roebke, Fred Lonberg-Holm ou encore Tomeka Reid. Rencontre avec un musicien discret et opiniâtre, qui n’a pas fini de surprendre…
- Pouvez-vous présenter votre parcours ? Quelles sont vos influences ?
J’ai grandi à Zürich, et commencé tard à jouer du saxophone, vers 18 ans. Mon premier groupe s’est monté à cette époque. C’était très important pour moi ! Il s’agissait d’un groupe plutôt orienté rock avec beaucoup de sessions just play dans la salle de répétition… À 23 ans, j’ai attrapé le virus du jazz qui m’a amené à l’école de jazz de Lucerne. J’en ai eu assez deux ans plus tard, puis je suis parti un an à Amsterdam. Là, j’ai arrêté les cours après 3 semaines ! J’en avais marre de l’école…
À Amsterdam j’ai surtout joué, et c’était super important. Puis, je suis retourné à Lucerne et j’ai fini les deux dernières années d’études… C’est Amsterdam qui a été mon école de jazz, au fond. Les écoles sont utiles, mais passent largement à côté de ce que j’entends par « la musique jazz ». Au début, seuls comptaient pour moi les vieux jazzmen, Coleman Hawkins, Ben Webster. Surtout John Coltrane et Sonny Rollins…
- Comment s’est passée la création de Veto Records ? Quelle en a été la motivation ?
J’ai surtout fondé mon propre label pour devenir mon propre chef. Ça peut être épuisant de chercher un label… Je voulais aussi créer une sorte de plateforme pour les musiciens suisses. Surtout ceux de ma génération. Avant tout pour les gens qui sont proches de mon travail…
Ensuite, je me suis surtout préoccupé de musique, quelque chose entre composition et improvisation, pour mes propres groupes : erb_gut, Veto, BigVeto et Lila.
- Christoph Erb © Peter Gannushkin
Veto-records/exchange est arrivé ensuite, à travers mon séjour-atelier à Chicago. Je voulais donner sa propre série à la musique improvisée et à l’échange avec cette ville… même les belles couvertures en carton sont faites par des gens de Chicago. Pour moi, ça signifie quelque chose.
- Comment définissez-vous l’esthétique de Veto ?
Le musicien de Veto doit avant tout garder son caractère propre… Autonome, impertinent, libre. En constante recherche.
- Vous êtes un des musiciens les plus visibles de la scène alémanique, et plus précisément de Lucerne. Comment expliquez-vous la profusion qui y règne ?
Les écoles supérieures de jazz sont en train de créer des armées de musiciens ! Ça n’a pas que du bon, mais le niveau monte constamment. Paradoxalement, on a de moins en moins de possibilités de faire de la scène…
- En 2011, vous avez donc créé la collection Exchange pour aller à la rencontre des musiciens de Chicago. Comment s’est monté ce projet ?
Grâce au jumelage Lucerne-Chicago, j’ai pu bénéficier en 2011 d’un atelier pour vivre et travailler quatre mois dans l’Illinois. Je connaissais déjà quelques musiciens du coin puisqu’eux-mêmes venaient de temps en temps à Lucerne, et que j’avais vite joué avec l’un ou l’autre. Ensuite, à Chicago, je n’ai pas eu de mal à rencontrer d’autres musiciens, puisqu’on les trouve surtout dans les concerts ! Arrivé là-bas, j’ai agi sans trop réfléchir. Just do it !
Je ne dirais pas que je suis allé à la rencontre de la scène musicale de Chicago. J’ai simplement créé des liens avec les musiciens avec qui je pouvais imaginer une collaboration passionnante. Je n’étais pas non plus allé à là-bas dans l’idée de construire une chose bien précise. C’est un enchaînement de circonstances.
Après ce séjour, je suis retourné au moins une fois par an à Chicago. La ville était un point de départ d’une tournée sur la côte Est. J’en ai profité pour réaliser des enregistrements avec les musiciens qui m’intéressaient.
- Le jumelage de Lucerne et de Chicago a-t-il été un moteur ou un prétexte ?
Un MOTEUR ! Je crois aussi que The American Way of Life et Just Do It, me conviennent très bien !
- En 2011, vous avez enregistré avec le percussionniste Michael Zerang et le pianiste Jim Baker. Aviez-vous déjà eu des contacts avec eux ou les avez-vous rencontrés sur place ?
Je les connaissais que de réputation. Je les ai rencontrés à Chicago et, spontanément, je leur ai proposé un enregistrement – lors de notre première rencontre.
- Entre ce premier volume et vos retrouvailles avec Zerang dans le trio Easel, dernière sortie en date de la collection, votre jeu a-t-il changé au contact de la scène de Chicago ?
Oui, bien sûr… J’ai appris des choses grâce aux nombreuses tournées et à la collaboration avec les musiciens de Chicago. Leur façon de jouer, complètement différente, me fascine. Je m’améliore à chaque rencontre, de toute façon !
- Très vite, vous avez enregistré Erb Alone, au ténor et à la clarinette basse, à Chicago. Etait-ce un besoin de marquer votre identité propre vis-à-vis de la scène chicagoane ?
Non, pas du tout ! Pour moi, ce disque solo est plutôt une sorte de conclusion apportée aux idées sur lesquelles je travaillais depuis longtemps. J’ai eu beaucoup de temps d’un coup, à Chicago… Au départ je ne voulais même pas le publier.
- Certains musiciens reviennent régulièrement dans ces orchestres - Fred Lonberg-Holm, notamment. La rencontre avec « l’anti-violoncelliste » a-t-elle été un coup de foudre ?
Anti-violoncelliste ??? Hmm… (C’est ainsi que l’artiste se définit lui-même — NDLR). Pour moi, Lonberg-Holm est un des musiciens les plus exaltants en matière de musique improvisée, un vrai défi : il est imprévisible. Il oblige sans cesse ses compagnons à se remettre en question et à improviser. En tout cas il m’y oblige à chaque fois, et c’est ce que j’aime chez lui !
- Envisagez-vous d’en faire un coffret en vue d’une diffusion plus large, ou bien cette série limitée, cette rareté, fait-elle partie de l’identité de la collection ?
Bonne idée… on verra ! Pour l’instant, la diffusion se fait sous cette forme-là. Je ne raisonne pas en termes de ventes. Je vends mes disques du mieux que je peux, principalement pendant les tournées.
- Quelle est l’avenir de cette collection ? Des nouvelles collaborations sont-elles prévues ?
À l’avenir, d’autres disques sortiront sans doute chez Veto-exchange. En ce moment sort pour la première fois un disque purement suisse (une sorte d’échange aussi entre la Suisse allemande et l’ouest du pays avec le trio Wintsch/Weber/Wolfarth). Il y a aussi dans les tuyaux un enregistrement réalisé à Chicago l’an dernier ; je ne sais pas encore quand je le sortirai. En septembre/octobre sort pour la première fois un de mes enregistrements de là-bas, avec le trio Erb, Baker, Rosaly, sur un autre label, HatHut Records, ce qui me réjouit ! En octobre, je retournerai de nouveau à Chicago, pour une petite tournée avec ce trio.
- Que représente un disque en leader chez HatHut, pour un jazzman suisse ?
C’est vraiment formidable pour moi d’être édité sur un label à l’histoire aussi conséquente. Jeter un œil au back catalogue donne le tournis. Mais j’ai déjà été crédité chez HatHut : je faisais partie du Gruppe 6 de Manuel Mengis sur Into The Barn, en 2005.
- Le travail de Werner X. Uehlinger vous a-t-il inspiré en tant que patron de label ?
Par bien des aspects, évidemment. Ce que je préfère chez HatHut, ce sont les pochettes. On identifie immédiatement le label ! Mais les moyens de Veto Records sont plus restreints ; les choses ont tellement changé dans l’industrie du disque… Alors je reste modeste et j’essaie de faire de mon mieux.