Chronique

From Wolves to Whales

Strandwal

Dave Rempis (as), Nate Wooley (tp), Pascal Niggenkemper (b), Chris Corsano (dms)

Label / Distribution : Aerophonic

Strandwal signifie « ligne côtière » en néerlandais, et de la côte à la crête, il y a toujours une place pour la contrebasse de Pascal Niggenkemper qui s’impose dans un jeu d’archet vibrant et dévastateur. Ce qui importe c’est la ligne sur laquelle se tient fièrement un quartet tout autant influencé par la musique d’Ornette Coleman que celle de Ken Vandermark, dont tout ce petit monde est proche [1]. Pour le premier, constatons qu’on ne met pas la trompette de Nate Wooley et l’alto explosif de Dave Rempis dans la même pièce sans quelques références. Pour le second, c’est l’énergie folle alentour qui lui rend hommage. Le long « Hook and Cod » inaugural est sorte de synthèse de ces esthétiques ; la trompette de Wooley, très expressive, est en arrière, s’affaire dans les textures et les couleurs tandis que Rempis peut éclater comme un fruit mûr contre une rythmique souple mais irréfragable. Chris Corsano, en charge de la batterie est habitué de ce jeu dur mais agile, tel qu’on l’avait entendu récemment avec Rodrigo Amado ou Joe McPhee. Là aussi, c’est le même univers.

From Wolves to Whales est fortement marqué par cette base rythmique extrêmement soudée qui définit véritablement le climat de l’orchestre, même si c’est collectivement que se choisissent les directions. Mais des loups qui hululent sur les falaises (remarquable intro de « Spaarme ») jusqu’au chant des baleines qui surgissent des cordes de Niggenkemper, il y a comme une alliance sacrée, qui se love dans les infrabasses très poétiques. Elles naissent dans toutes les aspérités qui constellent la contrebasse et bâtissent un pont avec le jeu heurté et fougueux de Rempis, bien soutenu par les cymbales de Corsano. Parfois, la ligne se fait plus mince, ne tient plus qu’au claquement des clés d’un alto au spectre étonnamment large, qui colle à toutes les accrobaties de Wooley, insatiable jusqu’aux franges du silence.

Ce qui compte sur ce bel album paru sur le label Aerophonic de Dave Rempis, c’est l’aspect sauvage et rugueux qui en émane. Pas d’un point de vue féroce ou menaçant, mais davantage libre et farouche. « IJ » est à ce titre un magnifique exemple d’improvisation collective qui louvoie d’un claquement de corde jusqu’au gargouillement de l’embouchure. Après un début en tapinois, le son va prendre de plus en plus d’ampleur à mesure que l’archet s’empare d’un embryon de mélodie. La mitraille de Corsano fera le reste, comme pour laisser chacun sur le qui-vive. Baleines et loups sont des seigneurs dans leur environnement, mais aussi des bêtes traquées par la folie des hommes, prêtes à détaler dans le fracas. L’ostinato de trompette, lent et lancinant, évoque même ce qui pourrait ressembler à un cri de détresse. Ou de défiance. L’orchestre, qui a enregistré à Haarlem au Pays-Bas, en 2017, ce double album pensé comme les deux faces d’un vinyle, incarne à merveille cet état de nature avec une grande fluidité. Une réussite totale.

par Franpi Barriaux // Publié le 16 février 2020
P.-S. :

[1Dave Rempis faisait partie du Vandermark 5.