Chronique

Grand Orchestre du Tricot

Tribute to Lucienne Boyer

Label / Distribution : Tricollection

S’il fallait résumer en deux mots ce Tribute to Lucienne Boyer, le nouvel album du Grand Orchestre du Tricot quelques semaines à peine après l’Atomic Spoutnik emprunté par Valentin Ceccaldi, ils seraient vite trouvés : excitation et emballement. Quoi d’autre ? Jubilation peut-être. Un sautillement béat qui accompagne l’explosion d’énergie d’un Tricollectif au sommet de sa forme et de son enthousiasme. Les contours de cet orchestre sont libres et mouvants ; son line-up est flexible et permet toutes les folies. Ce n’est pas la première fois que le collectif a maille à partir avec Lucienne Boyer. Les chanceux ont pu découvrir le spectacle, débauche d’exubérance, d’humour et de poésie dont vous avez pu lire ici de nombreux comptes rendus. Quant aux curieux, ils auront remarqué les trois titres téléchargeables sur leur bandcamp depuis des mois. Il y a désormais huit chansons qui embrassent la carrière hors du commun de la dame en bleu. Escortent la mutation de la petite modiste de Ménilmuche en star d’Hollywood. Insistent sur les différents avatars, de la bluette grivoise à la dramaturgie de la chanson réaliste.

Le pervenche a viré carmin. La Lucienne du Tricollectif est rouge, fougueuse, fulminante. Elle hurle l’amour dans le roboratif « Parti sans laisser d’adresse » chauffée par une dynamique d’orchestre contondante que ne renierait pas Laurent Dehors. Sous les assauts d’une base composée du batteur Florian Satche, à l’origine du projet, du guitariste Eric Amrofel et du bassiste Stéphane Decolly (Kimono), la chanson se transforme en un exutoire doux-amer où le sens narratif de Roberto Negro est sublimé par l’interprétation d’Angela Flahault. La chanteuse est, de loin, la perle de ce Tribute. On connaît le souci du détail cher aux membres du collectif orléanais : l’équilibre de « Mon cœur est un violon », entre la finesse des arrangements et les pizzicati désinvoltes de Théo Ceccaldi en est l’exemple. De même, on n’est pas surpris par la méticulosité de Negro pour donner du relief à son interprète (« La Valse tourne »), à l’instar de ce qu’il proposait dans Loving Suite pour Birdy So.

Mais y aurait-il cette magie sans la chanteuse, également comédienne ? Certainement pas. Elle habite son personnage jusque dans ses turpitudes, ses doutes, son amour débordant. Elle brille lorsqu’elle joue les fausses ingénues dans le léger « Youp Youp » en compagnie du trombone de feu de Fidel Fourneyron, sempiternellement dans les bons coups. Elle fascine quand elle confère à « La Clef sous la porte » des tons mélancoliques appuyés par les anches de Quentin Biardeau, Sacha Gillard et Gabriel Lemaire. Partout, elle rayonne. Sa voix fait souvent songer à Magali Noël ; c’est tout sauf un hasard. Les pataphysiciens du Tricollectif n’ignorent pas que Vian disait de Boyer qu’elle était « Une dame toujours belle, toujours tentante » pour qui il aurait rêvé d’écrire. Par procuration, l’Orchestre du Tricollectif offre cette possibilité en s’emparant, pour une relecture canaille mais respectueuse, d’un patrimoine que les Anglo-Saxons appelleraient standard sans autre forme de procès. Si vous estimez qu’il n’y a pas de quoi s’exciter ou s’emballer, autant laisser la clef sur la porte. Youp Youp !

par Franpi Barriaux // Publié le 2 juillet 2017
P.-S. :

Angéla Flahault (voc), Roberto Negro (cla, p, arr), Théo Ceccaldi (vln, arr), Valentin Ceccaldi (cello, arr), Sacha Gillard (cl, bcl), Gabriel Lemaire (as, bs), Quentin Biardeau (ts, ss), Fidel Fourneyron (tb), Eric Amrofel (g, bjo), Stéphane Decolly (b), Florian Satche (dms, perc)