Chronique

Grand Orchestre du Tricot

Atomic Spoutnik

Valentin Ceccaldi (cello, elb, comp, direction artistique + le Grand Orchestre du Tricot

Label / Distribution : Tricollection

A quoi bon limiter son imaginaire à ce qu’on connaît déjà ?

Cette question, posée par le personnage incarné par Robin Mercier, s’avère centrale dans la démarche artistique de Valentin Ceccaldi et du Grand Orchestre du Tricot. Atomic Spoutnik est comme un rêve de gosse mis en musique, un voyage onirique où l’on suit, en parallèle, l’odyssée dans l’espace d’un enfant et la fantaisie spatiale d’un adulte ayant visiblement refusé les contraintes du monde.
Assez peu de narration à proprement parler, mais les interventions de Robin Mercier et d’André Robillard suggèrent cette dualité au sein de cette ambitieuse fresque où s’entrechoquent les mélodies naïves et les éclatements contemporains.

En filigrane, Atomic Spoutnik est aussi un ode à l’innocence, celle des petits et grands enfants pour qui le savoir ne s’est pas substitué à la fantaisie. Belle idée que celle de mettre André Robillard au centre de cette création. Lui l’artiste inclassable et touche-à-tout qui est un enfant pour toujours, lui qui est passionné par les planètes, les satellites, les voyages stellaires. Lui sur qui la maturité semble glisser, emportant avec elle la fierté, l’arrogance ; ne laissant, immaculée, qu’une inhabituelle candeur. Sur scène, il est lui-même, avec une présence intense due probablement au fait qu’il est toujours un peu parti. Il circule, danse, joue de la guitare, joue avec des pièces. Il se ballade, il erre, il fume. Autour de lui, la grosse machine du Tricollectif se déploie, avec ce que l’on peut imaginer de fraîcheur et de puissance. Le son d’ensemble est admirablement équilibré, l’ambition première demeurant la création d’une toile de fond sur laquelle se détachent les solistes, non par intention bavarde, mais pour propulser le propos. S’arrêter sur ces gestes reviendrait à analyser un trait de pinceau sur une toile aux couleurs chatoyantes. Non, ce qui compte ici, c’est la formidable énergie impulsée collectivement, dans les passages suspendus comme dans l’euphorie. Une alternance d’épisodes dépouillés comme la voûte céleste et d’autres très axés sur le rythme, sur les rythmes, où collisionnent les styles, jazz, rock, contemporain, que sais-je. L’orchestre est à la fois l’espace et le vaisseau qui l’explore, ici profond et silencieux, là mû par des hectolitres de kérosène brûlés. Et l’on sait combien ces talentueux musiciens sont capables de mettre le feu aux poudres – ce disque ne fait que le confirmer.

Durant ce voyage on rêve, on s’abandonne, on s’amuse. Les textes (signés par les deux acteurs/narrateurs) sont empreints de deux fantaisies distinctes et complémentaires : Robin Mercier, avec son habituelle verve, livre un texte où il confronte aux contingences adultes le besoin d’aventure de l’enfant, égratignant au passage les velléités suprématistes et la société de consommation. Lui et l’orchestre évoluent conjointement de la sagesse vers la folie. André Robillard, pour sa part, nomme ses planètes et comètes imaginaires, rend compte au monde de son voyage surréaliste. Tous deux s’étreignent et semblent n’être qu’une seule personne lorsqu’ils dansent sur la valse de la partie VI. L’orchestre tout entier donne de la voix durant la VIIIe partie du programme, où une ritournelle enfantine se transforme peu à peu en éruption de musique.

Si ce disque rend justice à la qualité du travail effectué collectivement autour de la composition de Valentin Ceccaldi, riche et colorée, positive et fantastique, il est plus que recommandé d’aller voir et écouter ce spectacle in situ : les lumières de Guillaume Cousin et projections d’images de Jean-Pascal Retel, la présence d’André Robillard et de Robin Mercier, leurs déplacements, participent de la magie de cette histoire farfelue, décalée et émouvante.

A la toute fin du programme, André Robillard, héroïque explorateur des zones les plus reculées de l’espace, annonce fièrement, comme une indéniable évidence, avoir découvert dans son univers des planètes qu’on ne connaissait pas jusqu’à maintenant. C’est un peu ça pour nous aussi.


Dégustez quelques extraits du spectacle/disque.

par Olivier Acosta // Publié le 29 janvier 2017
P.-S. :

Le Grand Orchestre du Tricot :

André Robillard (textes, voc, g), Robin Mercier (textes, voc), Théo Ceccaldi (vln, alto, clavier, voc), Gabriel Lemaire (as, bs, cl, voc), Quentin Biardeau (ss, ts, voc), Jean-Brice Godet (cl, bcl, dictaphones, voc), Roberto Negro (claviers, guide-chant, effets, voc), Guillaume Aknine (g, bjo, voc), Valentin Ceccaldi (cello, elb, comp, direction artistique), Adrien Chennebault (perc, objets, voc), Florian Satche (dms, objets, voc), Mathieu Pion (son), Jean-Pascal Retel (vidéo), Guillaume Cousin (lumières)