Chronique

Hans Lüdemann Trans Europe Express

Polyjazz

Label / Distribution : BMC Records

Avant même d’avoir placé le disque sur la platine, on est pris d’une sorte de vertige devant la lecture de la liste des musiciens. Elle n’est pourtant pas interminable : le Trans Europe Express (TEE) n’est finalement qu’un octet. Un train court qui répond à cette nécessité de plus en plus pressante dans le jazz contemporain d’allier richesse des timbres et souplesse de la forme. Mais le line-up du TEE représente rien moins que 304 articles tagués dans la base de Citizen Jazz. Si ce n’est pas une réunion de la crème de la musique improvisée européenne, ça y ressemble : un axe franco-allemand avec de fortes têtes comme Alexandra Grimal ou Silke Eberhard, dynamiteuses en cheffe de cette étonnant orchestre. Sélectionnées par le pianiste Hans Lüdemann, ces personnalités ont un sens suffisant du collectif pour créer ensemble un langage commun et polysémique.

Lüdemann est un artiste fidèle au Budapest Music Center qui nous a habitués à travailler son matériel musical dans maintes configuration différentes, à l’image de sa somme Die Kunst Des Trio. Ce n’est d’ailleurs absolument pas fortuit si dans cette aventure, il invite Sébastien Boisseau à la contrebasse et Dejan Terzić, à la batterie ; c’est Rooms, le trio originel. Un triangle de base très ouvert qui permet à l’orchestre toutes sortes d’aiguillages balisés par le trombone d’Yves Robert, véritable vigie des soufflants (« Trois fois rien », hérissé de soli gourmands). Qu’on se rassure, le contenu est aussi puissant que la fiole. Pour célébrer cette union musicale pas si nouvelle de l’Allemagne et de la France, Lüdemann a bâti un orchestre qui dialogue et se répond, à l’instar de la relation très particulière qui lie le guitariste Kalle Kalima, Finlandais vivant en Suisse où on l’a entendu avec Andreas Schaerer, et Théo Ceccaldi [1]. Ainsi, dans « Des arbres sous les pieds  », ils construisent tous les deux une atmosphère dense et pleine de surprises dans laquelle s’immisce le piano virtuel, capable de tous les quarts de ton, et la percussion très coloriste de Terzić.

L’art du TEE consiste à ne jamais se laisser enfermer dans un style ou une vision univoque des choses, sans pour autant passer pour des zappeurs. Des rhizomes africains de « Schwarz in Weiss  » qui rappelle que Lüdemann anime le trio Ivoire aux douceurs cristallines de « Angel Thought  » où Grimal donne de la voix, il y a un monde. Mais c’est dans la réduction de cette distance et la liaison entre ces antipodes que le Trans Europe Express trouve sa raison d’être. Cette ligne à grande vitesse n’a rien de factice. En réalité, le TEE est une famille, qui se parle depuis longtemps. A l’écoute de « Traum im Traum  », composition de Terzić qui fait presque figure d’hymne, on se souvient que le batteur serbe jouait ce morceau avec Ceccaldi sur l’étonnant Red. Pareillement, même s’il n’existe pas d’enregistrement a priori, il y a entre Eberhard et Robert une communauté d’idées sur le jazz et son histoire qu’embrasse l’ensemble avec une fluidité et une intelligence rare. Polyjazz n’est pas qu’une déclaration d’intentions : l’octet embrasse largement mais jamais trop n’étreint. Il pose simplement la question de la profusion des discours et y répond immédiatement par la jubilation des diversités. On attend avec impatience la suite. Après tout, un train peut en cacher un autre  !

par Franpi Barriaux // Publié le 11 novembre 2018
P.-S. :

Hans Lüdemann (p, fx), Théo Ceccaldi (vln), Yves Robert (tb), Alexandra Grimal (ss, ts,voc), Silke Eberhard (as, cl, bcl), Kalle Kalima (g), Sébastien Boisseau (b), Dejan Terzić (dms)

[1Le disque le rappelle, Kalima remplace l’habituel titulaire Ronny Graupe que Ceccaldi côtoie dans Qöölp.