Chronique

Jean-René Mourot / Bruno Tocanne

Chroniques de l’imaginaire

Jean-René Mourot (p), Bruno Tocanne (dms)

Label / Distribution : Momentanea

Avec l’obstination de ceux qui savent que le chemin sera long mais qu’ils ne dévieront pas de la route qu’ils se sont fixée, Jean-René Mourot développe depuis quelques temps un jeu personnel d’une belle élégance. A la suite d’un court disque solo en 2013 (élu Citizen Jazz) suivi l’année dernière du trio Le Tricycle, ce musicien d’une trentaine d’années, natif de Nancy et qui vit à Strasbourg, fait preuve d’une maturité dans l’expressivité qui ne peut que séduire.

Dans la lignée de pianistes comme Paul Bley, pour citer les grands anciens, Bill Carrothers et Eric Watson (dont il fut l’élève) ou encore, plus près de chez nous, Stéphan Oliva, il entretient l’art de faire sonner l’instrument sur l’intégralité du clavier avec une rondeur et un équilibre venus du classique. Ce fervent admirateur de Debussy n’en oublie pas pour autant un mordant généreux dans la brillance de ses basses et les lignes sobres de sa main droite ne sont jamais convenues ni futiles. La rencontre avec le batteur Bruno Tocanne, lui aussi adepte d’un jeu mélodique tout en retenue (proche de celui de Paul Motian) où la force du geste tient à son économie, ne pouvait être que fructueuse. Le duo ainsi formé est à ranger immédiatement parmi ceux qui sont de l’ordre de l’évidence et de la justesse.

Les deux musiciens cultivent, en effet, l’honnêteté comme esthétique et ne cherchent ni la confrontation ni la vulgarité d’une convivialité appuyée. Ils privilégient dans la précision de l’engagement et le respect de l’autre, une distance qui est une manière de tracer un cercle à la circonférence duquel ils se tiennent. Rien n’est forcé dans la démarche qui conduit à ces huit pistes totalement improvisées et la fluidité de l’ensemble tient autant aux notes jouées qu’à la manière de faire vibrer les silences. La nudité de l’association piano/batterie participe pleinement à la dynamique du propos. C’est caché sous la pudeur que l’essentiel se révèle alors. Chroniques de l’imaginaire est de fait un disque qui charme immédiatement.

Au cours de ces déambulations lentes où la musicalité s’écoule avec limpidité, jamais le mot bal(l)ade n’aura pris autant sa signification. Naviguant au gré des envies, ce qui semble au premier abord conduit par Mourot est constamment infléchi, désorienté-réorienté par les frappes fines et inattendues de Tocanne. Pareil à un couple de danseurs où celui qui conduit n’est pas celui qu’on croit, la densité des coups et le déséquilibre des corps influent tout autant sur la direction à prendre que la ligne d’horizon qu’on s’est fixée pour but. Cette flânerie, toute entière tendue entre profondeur et élévation, traverse des paysages variés qui vont de la délicatesse minutieuse à de grands aplats sonores (“Permis d’explorer"), parfois tempétueux (“Ab hoc et ab hâc”) voire lyriques (“Foultitude”). On en ressort, comme le disait Henri Michaux à la suite d’une exposition de Paul Klee “voûté d’un grand silence”.