Chronique

Jeb Bishop Flex Quartet

Re-Collect

Jeb Bishop (tb), Russ Johnson (tp), Jason Roebke (b), Frank Rosaly (dms)

Label / Distribution : Not Two Records

Membre illustre du Vandermark 5 et du Globe Unity Orchestra d’Alexander von Schlippenbach, le tromboniste Jeb Bishop livre depuis des années une musique affranchie qui, si elle prend ses racines à Chicago – on se souvient du magnifique Chicago Overtones avec Kent Kessler et Daniele D’Agaro -, a su depuis toujours avoir un regard, voire une connexion avec l’improvisation européenne. En témoignent ses échanges avec Rodrigo Amado ou l’émouvant Könzert Fur Hannes, avec des confrères trombonistes. Son Flex Quartet est à cette image, bien que strictement étasunien. Dans le long développement de « Exordium/Salt  » qui ouvre cet album, on a le sentiment d’un chaos de coulisse qui cherche et s’arc-boute avant de se fondre dans les mouvement d’archet de Jason Roebke. Ce n’est pas une fin en soi, et l’on traverse la mise en place d’un propos solide et collectif comme on construit un puzzle. Le tout est de s’organiser au gré du lyrisme fluide de la trompette de Russ Johnson, qui offre un vocable très colemanien, tendance Ornette. Flex Quartet est souple et malléable ; c’est la moindre des choses.

Enregistré live en 2015 pour la « réouverture » du Hungry Brain, célèbre club de Chicago, Re-Collect est l’occasion d’entendre des musiciens fusionnels. C’est le cas de la base rythmique, impeccable, qui joint Roebke à son vieux camarade Frank Rosaly, dont l’explosivité fait ici merveille. Lorsque sur le premier morceau, Bishop prend un solo cinglant, mais aussi plus loin, lors d’un combat à fleuret moucheté sur « Lungfish », Rosaly instaure des climats avec une précision rare, sachant tirer de chaque recoin de métal de ses cymbales une véritable mise en relief des timbres éclatants du trombone. La volonté de Bishop, dans cette réunion de musiciens qui se connaissent de longue date, c’est d’offrir un large espace d’expression à chacun. Sur « Razorlip  », l’orchestre débute sur une progression collective free avant de laisser s’échapper une ligne plus mélodique où la trompette de Russ Johnson est à l’aise et vraiment créative.

Le secret de Re-Collect est d’embrasser avec décontraction une grande partie de l’histoire de nos musiques sans chercher la démonstration ou la théorie. On passe d’une atmosphère à l’autre au gré de l’envie ou de l’instant. Le quartet joue simple et direct, mais peut choisir, soudainement, de varier vers quelque chose de plus complexe. Jason Roebke veille à la cohérence de tout ceci avec une régularité impressionnante et permet au deux soufflants de mêler leurs voix, de jouer à l’unisson ou au contraire en franche opposition si cela peut donner davantage d’énergie. On pourrait imaginer qu’il y a des visions différentes entre Bishop et Johnson : elles sont extrêmement complémentaires et forment même le point d’équilibre de cet enregistrement. Ainsi, au centre de « Sweat The Grub/On The Floor  », après un beau solo de contrebasse, ce sont Bishop et Johnson qui relance une machine pleine de blues, où la trompette irradie avant de laisser place à un chorus véloce de Bishop. Paru sur le label Not Two, Re-Collect n’est pas seulement l’archive d’un concert d’il y a quatre ans. C’est surtout la preuve que la bonne musique vivante et libre ne se périme jamais. Principalement lorsqu’elle est exécutée avec une telle maestria.

par Franpi Barriaux // Publié le 2 février 2020
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