Chronique

Rodrigo Amado Motion Trio + Jeb Bishop

The Flame Alphabet

Rodrigo Amado (ts), Jeb Bishop (tb), Miguel Mira (Cello), Gabriel Ferrandini (dms)

Label / Distribution : Not Two Records

Quelques mois après la sortie de Burning Live At Jazz Ao Centro, qui célébrait la collaboration entre le Motion Trio de Rodrigo Amado et le tromboniste Jeb Bishop, ce que l’on doit désormais considérer comme un quartet présente Flame Alphabet. Sorti sur le label Not Two qui, décidément, étoffe son catalogue des meilleurs représentants de la scène improvisée européenne, ce premier album studio marque une collaboration que l’on souhaite très fructueuse. Le trio lusitanien, où s’illustre le violoncelliste Miguel Mira dans un rôle très ouvert dépassant la simple marque rythmique, a en effet approfondi les affinités électives qui le lient au Chicagoan.

Dans ces cinq titres qui laissent beaucoup de place à l’improvisation collective, la formation renouvelle son propos tout en gardant une ligne claire et précise, affirmée dès « Burning Mountain » dans une course effrénée et sans limites. Le jeu virulent du batteur Gabriel Ferrandini est à l’initiative de ce mouvement débridé dont l’impétuosité, qui ne gomme pas les nuances, ouvre à Bishop de larges brèches de liberté. Avec « First Light », c’est le tromboniste qui bâtit une architecture aux mailles solides dont s’extrait par cascade le ténor nerveux d’Amado. Au-delà de la discussion très ouverte entre l’anguleux saxophoniste ténor et le tromboniste, ce sont désormais tous les membres de l’orchestre qui mêlent leurs voix. Cet amalgame de timbres prend souvent les atours charnels de la voix humaine. Ils vont du souffle au cri, de la caresse à la ruade, et contribuent à une inaltérable unité. Ainsi, la lente montée en puissance d’« Into The Valley », porté à ébullition par la boulimie de rythme de Ferrandini ; ce batteur prometteur qu’on avait pu remarquer aux côtés de Nate Wooley et du Red Trio, révèle la chaleur et la cohésion qui permet au groupe de s’enfoncer au plus profond de l’urgence sans jamais se désunir. Si dans le live, le tromboniste jouait un rôle de soutien parfois contemplatif, il se jette ici à corps perdu dans l’effervescence générale. Néanmoins, il ne s’agit pas d’une progression front contre front, mais d’une succession d’alliances de circonstances. Celles-ci fondent un discours commun aux reflets « braxtoniens » dont les reliefs peuvent passer en un instant de la finesse du sable à des césures plus saillantes, érodées par les pizzicati irascibles de Mira.

Excellent photographe par ailleurs, Amado conçoit sa musique comme on compose une image, en tirant parti de la lumière. Le vocabulaire du feu qui alimente ses titres expose avec acuité l’aspect chaleureux de l’ensemble. « The Healing », qui clôt l’album, révèle une facette plus apaisée, moins lyrique mais tout aussi ardente ; on s’y réchauffe avec beaucoup d’enthousiasme.