Chronique

Kobe van Cauwenberghe’s Ghost Trance Septet

Plays The Music of Anthony Braxton

Kobe Van Cauwenberghe (g, b, voc), Frederik Sakham (b, voc), Elisa Medinilla (p), Niels Van Heertum (eup, tp), Steven Delannoye (ts, bcl), Anna Jalving (vln), Teun Verbruggen (dms, perc)

Label / Distribution : El Negocito Records

Si rares sont les orchestres qui s’approprient la musique et la grammaire braxtonienne sur un album entier - en dehors d’un cercle large de musiciens étasuniens proches de la Tricentric Foundation - notons tout de même, avec un orchestre comme The Locals, que les initiatives se multiplient. Dernier exemple en date, le travail mené depuis 2020 par le guitariste belge Kobe van Cauwenberghe autour de la Ghost Trance Music (GTM), d’abord dans un saisissant solo, puis dans un album publié par les explorateurs de la scène flamande, El Negocito Records. Ghost Trance Septet Plays Anthony Braxton est un double album ambitieux et, pour tout dire, inattendu. Dès la « Composition 255 », que le saxophoniste avait enregistrée notamment dans la GTM (Iridium) 2007, un des enregistrements canoniques du genre, on comprend que Cauwenberghe est pleinement investi dans cette musique et qu’il entraîne ses compagnons dans une opulence de timbres et de chemins, bien aidé en cela par la rythmique solide de Teun Verbruggen (Flat Earth Society, Orchestra Della Luna…) et la basse puissante de Frederick Sakham. Ainsi, le trompettiste - et euphoniumiste - Niels van Heertum est très à son avantage dans cette construction musicale en cercles concentriques, caractéristique du genre, dont le guitariste s’affranchit parfois dans un feulement électrique.

Le petit train de la GTM est bien compris par Kobe van Cauwenberghe. La notion de mouvement inhérente à ce langage est très présente dans les quatre compositions choisies pour ce disque. Dans la 255, on retrouve le parti pris qui avait guidé Kyoko Kitamura dans son coffret GTM Choir en 2019, avec la répétition de phonèmes par les musiciens (ici des nombres) comme pour donner une articulation, et des pistes supplémentaires. Globalement, on perçoit que le travail de la chanteuse proche de Braxton a considérablement influencé le guitariste ; plus sans doute que Mary Halvorson, puisque van Cauwenberghe ne tombe jamais dans l’ornière de calquer son jeu sur celui de sa consœur, pourtant emblématique de la GTM. Mieux, dans la « Composition n°264 » qui semble n’avoir jamais été enregistrée par Braxton lui-même, sa guitare au jeu très tendu, très loin des brisures d’Halvorson, entre dans une mêlée d’où ressortent particulièrement le piano d’Elisa Medinilla et le violon d’Anna Jalving. On louera également le travail de Steven Delannoye, membre de l’Urbex d’Antoine Pierre, qui, bien que très présent, ne vampirise pas les morceaux et ne cherche pas à « jouer Braxton », laissant à Kobe van Cauwenberghe son rôle de maître d’ouvrage.

Cette « Composition n°264 » est un bel exemple du caractère très ouvert et enjoué du travail d’Anthony Braxton, et de la capacité pour des musiciens comme cette belle brochette de Belges d’en devenir de véritables passeurs. La nature de la GTM, c’est de raccrocher, à la manière de wagons, des compositions secondaires, souvent empruntées par des solistes, à un matériau primaire pour créer des multitudes de pistes, un multivers musical où chaque croisement est l’occasion d’un itinéraire inédit. Dans la « Composition n°264 », on retrouve donc notamment la « Composition n°40B » mais aussi la « Composition n°108A », deux pièces maîtresses du fameux quartet des années 80-90 avec Gerry Hemingway et Marilyn Crispell, manière pour Kobe van Cauwenberghe de se situer dans l’œuvre d’un artiste venu sur scène le féliciter à Luxembourg il y a quelques mois. Un travail remarquable qui permettra une fois de plus d’apprécier l’approche idiosyncratique du grand compositeur étasunien.

par Franpi Barriaux // Publié le 15 janvier 2023
P.-S. :