Chronique

Kobe van Cauwenberghe

Ghost Trance Solos

Kobe van Cauwenberghe (g)

Label / Distribution : All That Dust

Entamer un disque soliste à la guitare électrique autour de la musique d’Anthony Braxton est a priori une sacrée gageure. Surtout lorsqu’on n’est ni Mary Halvorson, ni Kevin O’Neil. Si, depuis ce présent Ghost Trance Solos, le Flamand Kobe van Cauwenberghe a démontré sa pleine connaissance de l’univers des des langages en usage dans l’œuvre d’Anthony Braxton, ce premier solo paru en 2020 aurait pu sembler bien ambitieux. Ce serait oublier un point très précis de la musique de Braxton, et a fortiori de cette autoroute aux directions très codifiées que représente la Ghost Trance Music (GTM) et dans laquelle van Cauwenberghe agit comme un poisson dans l’eau : chacun peut se saisir de la méthode et se balader à l’envi dans les compositions. Ainsi, dans la « Composition n°255 », assez caractéristique de la GTM, le guitariste se sert de ses pédales et de nombreuses boucles pour construire sa propre route.

Il est notable de remarquer que chacune des compositions primaires (elles sont au nombre de trois) passe, dans les chemins secondaires, par les différents avatars de la « Composition n°40 ». C’est l’évidence, tant cette partition est une véritable gare de triage conçue par Braxton comme un point de passage interconnecté dans l’ensemble de son œuvre. Dans la « Composition n°284 », qui ne sera pas reprise dans le septet, van Cauwenberghe passe ainsi par l’emblématique « Composition n°40b » (qui apparaît en premier dans le fameux Quartet Hambourg (1976), conçue justement pour offrir de la place aux solistes. Dans ce morceau que Braxton n’a enregistré qu’une fois [1], le guitariste s’approprie cette musique, laisse parler une note tenue, joue de l’écho, fait ronfler sa guitare en arrière-plan, comme un bourdon inquiétant lorsqu’il s’aventure dans des compositions secondaires récentes marquées par le langage Diamond Curtain Wall (« Composition n°400 »).

La grande réussite de Kobe van Cauwenberghe dans ce solo, c’est de creuser son propre sillon. Même lorsque sa guitare se lance dans des lignes tortueuses et complexes, il parvient à se départir totalement de l’esthétique de Mary Halvorson, souvent considérée comme le parangon de la musique de Braxton. C’est aussi une belle manière de pénétrer dans la musique du compositeur sans sa présence : on perçoit peut-être davantage ici les chemins empruntés et cette forme d’infinitude caractéristique de la GTM que van Cauwenberghe exploite à merveille. Une enthousiasmante découverte.

par Franpi Barriaux // Publié le 6 novembre 2022
P.-S. :

[1En tentet, à Anvers en 2000… La ville natale de Kobe van Cauwenberghe qui devait avoir à peine 10 ans !