Lina Allemano’s Ohrenschmaus
Flip Side
Lina Allemano (tr), Andrea Parkins (acc, elec, fx, objets), Dan Peter Sundland (b), Michael Griener (dm)
Label / Distribution : Lumo Records
On s’habitue désormais à la capacité qu’a la trompettiste Lina Allemano de réunir autour d’elle des orchestres prestigieux, notamment en Allemagne, dans ce Berlin cosmopolite où elle a élu domicile ; après un travail avec Uwe Oberg, voici qu’elle renoue avec son Ohrenschmaus, ce festin où elle croise Michael Griener. Peut-on faire plus berlinois ? Dans ce Flip Side comme dans le premier album, le travail abstrait du batteur est l’une des marques majeures d’une musique qui exploite chaque son avec un certain délice. Dans « Sidetrack », le premier morceau de l’album, la trompettiste est d’abord assez lointaine, une entité vague, perdue entre les frottements de la caisse claire et l’effleurement de la basse de Dan Peter Sundland.
Le temps de quelques morceaux, le trio est devenu quartet avec le renfort de Andrea Parkins, prêtresse du son et des objets. On croit d’abord que c’est cette dernière qui donne le ton à l’improvisation, ajoutant l’entropie au dialogue entre basse et batterie, créant l’inattendu et invitant le chant des machines, mais à intervalles réguliers la trompette vient rappeler qu’elle tient une ligne, certes méandreuse et indécise, mais suffisamment marquée pour donner à ce morceau une ambiance caniculaire et diablement personnelle. Avec « Signal », l’Ohrenschmaus redevient trio et prend quelques atours subtilement urbains et sophistiqués. Plus loin, avec « The Line », on a le sentiment que le trio fonctionne à front renversé, et c’est le dialogue entre Sundland et Allemano qui est central, ponctué par une batterie très créative ; la ligne, c’est alors celle de Sundland. Elle travaille avant tout l’urgence, ce qui sied à la trompettiste.
Lorsque Andrea Parkins revient influencer l’orchestre, dans le final « Sidespin », on entre de nouveau dans un kaléidoscope foisonnant où trompette comme batterie sont des forces de propositions infinies. Entre les deux, l’accordéoniste et électronicienne s’immisce, offre une électronique multiple et hybride qui réduit l’espace qu’on retrouve ailleurs. La multiplicité des sons grouille à la surface, et laisse l’auditeur s’enfoncer dans les entrailles. Le banquet devient une orgie inquiétante et sombre jusqu’à ce que la trompette l’éclaire avec une douceur peu commune, dans le tintinnabulement de la batterie. Une œuvre brillante.