Allemano, Oberg, Bauer, Fischerlehner
SOG
Lina Allemano (tp), Uwe Oberg (p), Matthias Bauer (b), Rudi Fischerlehner (d).
Label / Distribution : Creative Sources
Il y a quelque chose d’infiniment logique à enregistrer le tumulte tourbillonnant d’une tornade dans un lieu berlinois qui se nomme Zentrifugge. Devenue incontournable dans son rôle de témoin de la vivacité et de l’inventivité de la musique créative européenne, la salle a accueilli au mois d’août 2022 de bien excitants vents contraires. Autour de la trompettiste Lina Allemano, Canadienne installée à Berlin de longue date, c’est un fameux orchestre chahuteur qui se forme ; d’abord, le pianiste Uwe Oberg vient apporter son jeu puissant et souple, tel qu’on l’avait aimé dans Lacy Pool ou aux côtés de Silke Eberhard, puis une base rythmique parfaitement intranquille où le contrebassiste Matthias Bauer se frotte sans cesse à la nature exubérante du percussionniste Rudi Fischerlehner. On avait apprécié ce dernier dans Gorilla Mask ou dans un trio mâtiné d’électronique, il fait ici feu de tout bois.
« El remolino », le premier long morceau de cette étreinte en quartet, en est une manifestation forte : le métal des objets qui lestent la batterie se heurtent de plein fouet à une contrebasse en constante prise de vitesse et une trompette qui virevolte, s’attache à donner du mouvement, s’étouffe dans une sourdine ravageuse pour mieux repartir dans les frappes lourdes et vibrantes de la main droite d’Oberg. Le sentiment de vertige est là, d’autant qu’il ne semble pas connaître d’accalmie ; même lorsqu’il semble perdre en vitesse, dans le lent effleurement de la cymbale, c’est pour mieux reprendre une tournerie folle jusqu’à un quasi-néant presque bienvenu ; dans une rythmique accrochée par le craquement boisé de la contrebasse, le quartet se reconstruit comme on rassemblerait des pièces éparses, pour revenir sous d’autres visages.
C’est le sujet de « Il vortice », dont on aura compris qu’il embrassait le même thème (Sog, le titre de l’album est la traduction allemande de « Tourbillon », le troisième morceau). Ce mot italien offre à bien des égards une atmosphère plus apaisée, comme si Allemano et Oberg décidaient de s’allier plutôt que représenter des forces contraires. C’est un travail plus en profondeur qui sculpte la matière comme ces vents qui plient les arbres en bordure de côte. Le jeu de Lina Allemano est d’une grande finesse dans son approche très physique de l’instrument, comme dans cette capacité à varier sa palette de timbres. Une prestation proprement ébouriffante.