Entretien

Louise Knobil, pesto punk et paillettes

Rencontre avec une jeune prodige suisse, phénomène des festivals de l’été un peu partout en Europe.

Louise Knobil © Pierre Daendliker

Apparue comme un comète dans l’atmosphère parfois viciée des festivals jazz francophones grand public, la contrebassiste suisse Louise Knobil enthousiasme par sa façon toute personnelle d’envisager la chanson et la façon de diffuser des idées. Avec une candeur qui n’oblitère pas un discours où prime une vision libertaire de la société, Louise Knobil offre une touche très colorée dans le jazz vocal, un tour de force pour une musicienne qui se revendique d’abord contrebassiste et assume ses racines punk. Rencontre avec un phénomène qui a déjà dépassé les surprises de l’été et offre un récent disque live qui s’écoute avec gourmandise.

- Vous êtes arrivée très vite, au gré des festivals d’été, à une reconnaissance à l’échelle européenne. Quel a été votre parcours ?

Mon parcours a été plutôt atypique.

Mon premier instrument était la clarinette classique, de 6 à 12 ans. J’avais demandé à essayer la clarinette basse mais mon professeur m’avait rétorqué que ce n’étais pas possible car je faisais la même taille que l’instrument. Puis à l’adolescence, fan de grunge et de punk rock, j’ai essayé la basse par hasard et je jouais toute seule sur mes disques préférés. Du punk au funk, j’ai commencé à jouer partout. Entre mes petits boulots alimentaires, je travaillais mon instrument, le répertoire et le solfège comme une folle, pour me présenter au concours, que je réussis en juin 2018.

Knobil © Peter Pfister

Je découvre le jazz à 20 ans,c’est une révélation pour moi. Je tombe amoureuse de l’énergie (qui me rappelle le punk), du groove (qui me rappelle la funk) de l’esthétique et du côté profondément poétique et politique de cette musique. J’accepte tous les plans pour faire du jazz, notamment un remplacement de dernière minute pour le Big Band de l’université de Lausanne. À la fin de la répétition, le directeur du Big Band me propose de rejoindre l’orchestre, mais à la contrebasse. À ce moment-là, j’ai 21 ans et je ne joue pas (encore) de contrebasse. J’accepte quand même. J’emprunte une contrebasse à un ami et travaille les morceaux du big band sans relâche pendant trois semaines. Je prends quelques cours avec un étudiant de l’HEMU où j’étudierai ensuite. KNOBIL naît pendant le confinement. J’apprends à chanter et écrire des paroles de manière instinctive.

J’enregistre Or Not Knobil, en été 2022. Il sort en mars 2023 et c’est véritablement là que commence KNOBIL. En 2024, KNOBIL est lauréat des Suisses Diagonales Jazz (équivalent suisse de Jazz Migrations), devient un trio (clarinette basse, batterie et contrebasse/chant), fait plus de 60 concerts en Europe et sort un deuxième EP en septembre 2024, Knobisous. Depuis, le trio enchaîne les dates, joue notamment à Jazz à Vienne, au studio de l’Ermitage, au studio 104 sur France Musique et est lauréat du concours de jazz vocal de Crest Jazz.

J’aime beaucoup le concept qui fait qu’un morceau puisse exister seulement avec une ligne de basse et une ligne mélodique

- Le trio est composé essentiellement d’instrument dits « rythmiques » : comment se partage le travail au sein de l’orchestre ? Pourquoi avoir choisi cet instrumentarium ?

Au départ, KNOBIL était en quartet avec piano. En réécoutant des enregistrements de concert, je me suis rendu compte que la contrebasse disparaissait un peu et que ça donnait un effet de chanteuse qui s’accompagne à la contrebasse, alors que je défends plutôt l’inverse. Je suis d’abord contrebassiste et, après, chanteuse.

Aussi, je voulais quelque chose de moins « conventionnel », plus brut et plus punk, dans l’esprit d’Ornette Coleman. En plus de mon amour inconditionnel pour la cohésion et le groove basse-batterie, j’aime bien l’idée que le public soit libre d’imaginer l’harmonie, ou de ne rien imaginer du tout.

Je compose, arrange et écris les paroles seule. J’aime beaucoup le concept qui fait qu’un morceau puisse exister seulement avec une ligne de basse et une ligne mélodique, et que le reste soit « bonus ». Quand j’ai une nouvelle composition, j’arrive avec une structure et des idées d’arrangements, et on affine ça de manière collective. Je suis toujours ouverte et inspirée par les propositions artistiques des autres membres du groupe.

Louise Knobil © Pierre Daendliker

Comment s’est passée la rencontre avec vos comparses ? Est-ce que la chanson a toujours été au centre du projet ?

J’ai rencontré Chloé Marsigny et Vincent Andreae pendant mes études à l’HEMU. Au fur et à mesure des sessions, concerts d’animations et ateliers, nous avons développé un lien artistique et humain solide et le trio est né.

La chanson et surtout le texte ont pris de l’importance au fur et à mesure des compositions, mais ont toujours fait partie du projet. J’aime raconter et qu’on me raconte des histoires, que cela soit par des paroles ou de la musique instrumentale.

- Parlons chanson : on constate que la plupart des morceaux chantés sont souvent assez complexes, vous aimez vous compliquer la vie ?

Mon parcours prouve bien que j’adore me compliquer la vie. J’aime que ma musique soit une exploration constante et que j’apprenne quelque chose à chaque fois, que cela soit vocalement, avec la contrebasse, ou avec la synchronisation des deux. J’aime beaucoup les défis rythmiques et techniques mais je n’aime pas la musique « démonstrative ». Je défends la technique et la théorie au service d’une idée artistique et non l’inverse. Mes compositions me permettent de raconter des histoires tout en assouvissant mes délires de nerd du jazz.

- À l’écoute des textes, parfois faussement naïfs, on pense à un chanteur comme Albert Marcoeur. Est-ce une influence ? Écrivez-vous en groupe ou seule ?

Je dois bien avouer que je ne connais pas Albert Marcoeur. En revanche, le déclic de l’écriture en français me vient plutôt de la scène indé/alternative suisse romande, surtout genevoise. J’accompagnais des chanteurs/chanteuses issus de ces esthétiques, notamment Félicien Lia et Milla Pluton, avec des plumes faussement naïves, épurées, pleines d’humour et très souvent engagées. Mon autre influence est Boris Vian dont j’adore l’espièglerie pataphysique et qui a été un des premiers à mélanger des textes en français et l’esthétique jazz.

- Quels sont vos modèles à la contrebasse ?

Charles Mingus, pour son côté punk, brut et sa personnalité artistique inimitable. En plus d’avoir un jeu unique et immédiatement reconnaissable, je suis absolument fan de ses compositions et de ses talents d’arrangeurs. Ses mélodies tarabiscotées et blues à la fois me prennent encore et toujours aux tripes.

J’ai beaucoup relevé Ray Brown, Paul Chambers et Oscar Pettiford, pour la phrasé swing, le walking bass et le son.

Dans un autre registre, je suis très inspirée par Esperanza Spalding, qui m’a permis de réaliser, en tant que jazzwoman, que c’était possible - et autorisé - de jouer, composer, chanter, arranger et d’être leadeuse.

J’ai des influences assez éclectiques en plus de Charles Mingus et Esperanza Spalding : Joni Mitchell pour le chant et l’univers décalé, The Clash et Rage Against The Machine pour l’identité des lignes de basse et l’énergie, Wayne Shorter pour la composition (surtout la période hard bop), Ornette Coleman, John Coltrane, Art Blakey ou encore Jaco Pastorius.

Louise Knobil © Pierre Daendliker

- Dans les musicien·nes qui vous influencent, on pense aussi à Kirsi-Marja Arju du Kama Kollektiv, que vous connaissez bien.

Oui bien sûr que j’adore Kirsi-Marja Arju ! On habite pas à côté l’une de l’autre mais on sait qu’un jour on fera quelque chose ensemble.

- Vous jouez également dans le sextet de votre clarinettiste Chloé Marsigny. Pouvez vous nous parler de cet orchestre ?

En plus d’apporter une touche originale et inimitable à KNOBIL, Chloé a un immense talent pour la composition et l’arrangement, tout en étant passionnée d’astronomie. Chacune de ses compositions est en lien avec un phénomène ou un concept d’astrophysique (trous noirs, naines blanches, exoplanètes, etc.).
L’écriture pour sextet (clarinette basse, sax alto, guitare, piano, contrebasse et batterie) est à la fois poétique, complexe et énergique, en fonction de la thématique abordée. Les concerts sont sous forme de mini-conférences de vulgarisation scientifique. On joue bien sûr dans des clubs de jazz et des festivals, mais aussi dans les observatoires, pendant les pluies d’étoiles filantes du mois d’août. On retrouve aussi les explications dans ses deux albums « Ten Seconds to Lift Off ». Un troisième album est en préparation avec une sortie prévue en février 2026, chez Unit Records. Une tournée de sortie est prévue entre la Suisse, la France et l’Allemagne.

- Si on s’intéresse un peu au monde du théâtre, on connaît le metteur en scène Benjamin Knobil… Pouvez-vous nous parler du Knobiloscope ?

Benjamin Knobil est mon père. J’ai grandi dans une famille de comédien·nes. Ma mère, Geneviève Pasquier, est aussi comédienne et metteuse en scène. En 2023, mon père a reçu une carte blanche du Casino-Théâtre de Rolle avec une seule condition : que sa fille (moi) soit aussi dans le spectacle.

Quitte à être en famille sur scène, nous avons décidé de parler de l’histoire des KNOBIL, sous forme de concert généalogique, qu’on appelé Knobiloscope.
Ça serait trop long de raconter toute l’histoire des KNOBIL ici mais voici le synopsis :

L’auteur et metteur en scène Benjamin Knobil et la contrebassiste et chanteuse Louise Knobil proposent une ode à ce patronyme unique et ironique, autour des Knobil d’hier et d’aujourd’hui. Toute une famille ballottée par l’histoire entre l’Ukraine, Berlin, Oulan-Bator, Shanghai, Londres, New-York, Oran… et la Suisse. Il y sera question d’espions russes, de nazis, du FBI, d’endocrinologie… mais aussi d’artichauts, et de fondue au Vacherin.

Louise Knobil © Jacek Brun

- Quels sont vos projets ?

Avec Knobilive in Cully Jazz, j’ai eu envie d’oser l’album live pour proposer une expérience sincère, brute et sans filtre de ce répertoire qu’on aura joué plus de 120 fois d’ici la fin de l’année 2025. C’est une manière pour moi de transmettre ce que je préfère faire le plus au monde, à savoir faire des concerts, en plus d’avoir une « photo souvenir » de tous ces moments passés ensemble. Après toutes ces dates, je pense que je vais arriver au bout d’un cycle artistique à un moment ou un autre. Je suis déjà en train d’imaginer la suite.

J’ai envie d’explorer l’écriture en sextet et en plus grand ensemble. KNOBIL sextet s’est déjà produit au Bee-Flat à Berne et à Crest Jazz 2025 et quelques concerts sont prévus pour 2026. Ça m’inspire de nouvelles compositions et de nouvelles sonorités.

En plus de cela, le fait de faire le Knobiloscope avec mon père m’a appris beaucoup sur l’histoire chargée de mon nom KNOBIL, et j’ai envie d’explorer ce passé et d’en faire quelque chose musicalement. Je suis en train d’imaginer une trilogie d’albums autour du passé, du présent et du futur de KNOBIL. Affaire à suivre.

par Franpi Barriaux // Publié le 26 octobre 2025
P.-S. :

KNOBIL en concert le 17 novembre au New Morning de Paris