Chronique

Manuel Bienvenu

Glo

Manuel Bienvenu (elb, p, org, synth, g, voc, comp) ; Thierry Chompré & Jean-Michel Pirès (dms, perc) ; Théo Girard (b), Masayuki Ishii (g) ; Colin Ozanne (sax, cl) ; Yann Louineau (g) ; Jean Bienvenu (tb) ; Albain Lutaud (voc) ; Emerson Kitamura (org) ; Jean-Louis Prades (g) , Paul-Marie Barbier (vib).

Label / Distribution : Microcultures

Mais qui donc peut bien être cet énigmatique Manuel Bienvenu qui vient, à disques très comptés depuis une quinzaine d’années, hanter nos platines pour y faire chanter sa musique singulière ? Notre camarade Aymeric Morillon avait tenté de percer le mystère de ce compositeur multi-instrumentiste à l’occasion de la sortie de son troisième disque Amanuma, et fournissait à cette occasion quelques précieux indices, sans vraiment lever le voile sur un musicien dont on sait les attaches du côté du Japon. C’était en 2015, en d’autres temps, avant. Il aura fallu attendre cinq ans pour qu’advienne un successeur à cet album pétri de références assumées, dont certaines étaient à chercher du côté de l’École de Canterbury (Manuel Bienvenu ne cachant pas son admiration pour des musiciens tels que Robert Wyatt ou Elton Dean).

Voici donc venir Glo, enregistré de 2017 à 2018, un disque dont le titre est, à n’en pas douter, un clin d’œil appuyé à Carla Bley et à son Night Glo : écoutez la composition titre de ce disque enregistré avec Steve Swallow au milieu des années 80 et forcément, vous serez en pays de connaissance. Le même relâchement souple, le balancement félin, de subtils arrangements aux textures soyeuses, une apparence trompeuse d’easy listening.

Si la conception d’un disque n’est pas pour Manuel Bienvenu une fin en soi, elle relève néanmoins d’un processus long, objet de toutes ses attentions, y compris dans le choix des instruments, rares parfois. Les synthétiseurs, très présents tout au long de l’album semblent surgir des jours heureux d’un passé déjà lointain et, quand ils ne la scandent pas, colorent une musique aux arrangements d’une précision presque maniaque. La voix elle-même est travaillée au même titre que l’un d’entre eux. Elle n’est pas en avant, mais composante à part entière de la texture sonore. Souvent évanescente, elle chante des mots (en anglais) dont la musique est aussi importante, sinon plus, que leur sens brumeux.

Notre homme-orchestre a reconduit pour Glo une bonne partie de l’équipe d’Amanuma et ce n’est pas sans un réel plaisir qu’on note l’arrivée de Théo Girard, contrebassiste récemment auteur d’une très séduisante Bulle, saluée comme il se doit dans les colonnes de notre magazine. Sa pulsion tenace et tournoyante compte pour beaucoup dans l’effet hypnotique que suscite l’écoute d’un album peuplé de réminiscences (cf. « Passing Shot »). Affleurent en effet, de façon plus subliminale que directe, les échos de ces grandes sources d’inspiration que sont pour Manuel Bienvenu Robert Wyatt, Art Bears, Brian Eno, Kevin Ayers… ou encore Donald Fagen et Steely Dan, comme le montre une composition telle que « Gone With The Dishes ».

Glo présente une pop haut de gamme inclassable, aux accents parfois sériels (« Aniconism »), dont l’apparente douceur est en réalité le masque d’une exigence de chaque seconde. De ce fait, on ne cachera pas le risque de passer à côté de ce disque par manque d’attention. Mieux vaut savoir qu’il est préférable de lui consacrer tout son temps et de l’écouter à fort volume, au casque si possible. Mais dans tous les cas en réunissant les conditions favorables à une immersion totale, de celles qui vous font profiter de chaque instrument, de la moindre suggestion d’une guitare, d’un orgue, d’un vibraphone ou d’une clarinette, de toutes ces trouvailles nées de l’imagination d’un musicien orfèvre qui sait ne pas dévoiler tous ses secrets. On se rend compte alors que le hasard n’est pas de mise dans cette bande son minutieuse et amoureuse, peaufinée avec une patience infinie. C’est là sans doute le prix à payer – qui peut expliquer par ailleurs le temps séparant les albums de Manuel Bienvenu – pour donner son vrai sens à l’enregistrement en studio. « Graver, c’est grave », comme disait l’autre… Ici, la musique n’est en rien le reflet d’une captation live mais au contraire une construction savante, comme par sédimentation, et sans doute impossible à reproduire telle quelle, avec une si grande précision, sur scène.

Glo est un disque qui n’appartient qu’à lui-même, une partition luxuriante qu’on peut écouter sans fin. Un plaisir, dans l’acception la plus sensuelle du mot. Dans ces conditions, on se moque bien de savoir quelle en est la part de jazz ou de quelque autre source d’inspiration. On parle de musique, un point c’est tout !