Entretien

Mats Gustafsson, la tête chercheuse

Pilier de la scène jazz suédoise, le saxophoniste Mats Gustafsson répond à nos questions.

Photo : Michael Parque

Son dernier entretien dans nos colonnes datait de 2009, il était temps de refaire le point avec le saxophoniste et compositeur suédois suractif et très engagé, Mats Gustafsson. On l’a vu et entendu avec son trio Fire! et l’orchestre qui en dépend, les groupes The Thing, The End, Luft, on l’a écouté en solo, il a présenté une création au festival Sons d’Hiver : le musicien ne se repose jamais.
L’entretien a porté sur sa musique, sa façon de jouer et de composer et ses engagements politiques et esthétiques : un entretien sans filtre.

Mats Gustafsson © Jos L. Knaepen

- Il y a dans votre musique un lien évident avec le swing, la danse, la pulsation, que l’on entend dans ces temps étirés, ces basses tenues comme une vague. Pourquoi ce rythme ?

Nous sommes tout le temps entourés de rythme et de pulsation, 24 heures sur 24. Nous avons juste besoin de nous y connecter, d’en être conscient quand ça arrive. J’ai toujours été intéressé par le rythme et la pulsation. Mais il n’est pas nécessaire de jouer pour le ressentir et l’expérimenter, bien sûr. Et les fréquences basses en particulier, car elles ont des qualités et des effets physiques. La musique doit être ressentie physiquement, lorsqu’on en fait l’expérience ! Mais la musique ne se limite pas qu’au rythme… il existe de nombreux paramètres sur lesquels on peut se focaliser. C’est la façon dont on fait le point qui importe - et ce que l’on en fait.
Pendant longtemps, j’ai travaillé en étroite collaboration avec le milieu de la danse contemporaine et j’y ai beaucoup appris. Le processus, l’exécution, le sens de la forme et de la dynamique, le phrasé et le sens de l’espace : des choses essentielles !
Lorsque je joue, j’ai du mal à tenir en place physiquement. Lorsque les émotions et les énergies vous frappent, vous avez besoin de bouger. Et le mouvement du corps aide à la façon de phraser sur votre instrument. Tout est lié. Le temps est une pulsation.

- Votre direction au sein de Fire! est centrale, très physique. Vous avez la meilleure place de tout le public ! Que ressentez-vous lorsque vous êtes au centre, au milieu de cette direction ?

La direction d’orchestre est un outil formidable qui permet d’orienter la musique dans certaines directions et de changer rapidement les événements. Dans un grand groupe, il faut trouver des outils qui fonctionnent et qui sont flexibles. Il est très difficile d’improviser librement dans un contexte de grand groupe et avec Fire! Orchestra nous avons d’autres besoins et d’autres envies. La direction d’orchestre est un outil de création et le sentiment est plus celui de « jouer d’un instrument », lorsque vous dirigez. Si vos signes sont clairs et élaborés en accord avec les musicien.ne.s, vous pouvez aller n’importe où et à n’importe quel moment. Il existe une grande variété de techniques et de signes à utiliser. Les possibilités sont infinies.

- Fire! Orchestra est le prolongement du trio Fire! qui existe depuis longtemps. Comment expliquez-vous cette longévité et arrivez-vous encore à vous surprendre ?

C’est une nécessité de travailler sur le long terme avec des personnes en qui vous avez confiance, que vous aimez et respectez. Il est essentiel pour moi d’avoir des groupes qui fonctionnent depuis longtemps ainsi que de nouveaux projets qui ne jouent qu’une ou deux fois, une chose alimentant l’autre.
Le noyau de Fire! O. est le trio. Il le sera toujours. Donc, d’une certaine manière, Fire! Orchestra est juste un très grand trio étendu. Nous continuons à explorer de nouveaux territoires ensemble et c’est un formidable compagnonnage. C’était la même mécanique au sein de The Thing. Nous avons fonctionné pendant 20 ans et ça a toujours été incroyable de voir et d’entendre comment la musique continuait à changer au fil des ans sans perdre son essence et son identité.

Les erreurs sont des outils d’apprentissage en or

Fire! est un groupe très démocratique et nous prenons toutes les décisions ensemble. J’adore cela. Il s’agit de PARTAGE, à tous les niveaux. Nous avons besoin d’une vision à long terme des activités du groupe. Des dynamiques très intéressantes se produisent lorsqu’on travaille ensemble depuis longtemps. Et oui, il est tout à fait possible de se surprendre encore. Si vous le voulez, si vous êtes suffisamment curieux dans la vie et dans la musique, de nouvelles choses arriveront toujours ! Quand on travaille ensemble depuis longtemps, il existe un véritable équilibre entre la confiance et la surprise.

- Quel est votre rapport à la voix, aux mots ? Il y a du chant et du texte dans l’orchestre, dans The End, dans la commande pour Sons d’Hiver.

Le texte en général et la poésie en particulier m’inspirent beaucoup. C’est ce qui m’inspire le plus en ce moment. J’écris beaucoup de textes, des textes et des essais sur le thème de la collection de disques et sur la musique expérimentale en général et la musique improvisée en particulier. J’aime le processus. Le défi. La poésie est une chose totalement différente, tout comme les paroles de chansons. C’est un énorme défi. Mais, sans défis, que serait la vie ?
Il faut tout le temps essayer des choses et apprendre de ces expériences. Sinon, nous ne progressons jamais. Les erreurs sont des outils d’apprentissage en or. En or !

C’est très important de relier les différentes formes d’art entre elles. La danse, le théâtre, le cinéma, la poésie… tout ce que vous voulez. Approfondir tout cela est une source d’inspiration. Les connexions, les mécanismes, il y a tellement de choses étonnantes à découvrir et tellement de connexions avec la musique à faire aussi. Les processus créatifs sont tous liés aux mêmes paramètres essentiels : forme, dynamique, énergie, direction, densité… tout est là. Il suffit de vouloir.
Sur un plan plus fondamental, je suis très stimulé émotionnellement et intellectuellement par la grande poésie. Elle peut changer totalement et pour toujours son état d’esprit. C’est une bonne chose pour moi. Chercher et rechercher, tout est dans le voyage. Je ne veux pas atteindre un quelconque « but » ou la « fin de la route », je veux continuer à être inspiré en empruntant différents chemins et en apprenant de tout cela.

- Parlez-nous des chanteuses Sofia Jernberg et Mariam Wallentin, qu’apportent-elles à vos projets ?

Une approche unique. Leurs personnalités rayonnent, elles sont toutes les deux formidables artistiquement et elles se complètent parfaitement, car elles sont très différentes dans leur style, leur façon de phraser et la couleur de leur voix. Ce fut un magnifique voyage avec elles au sein de Fire! Orchestra.
Je travaille étroitement avec Sofia dans The End, bien sûr, et c’est très différent musicalement. Elle a de la force ! Et elle l’utilise au profit de chaque projet dans lequel elle est impliquée. Je suis très curieux de voir quelle route elle va prendre dans les prochaines années.
Ces deux artistes ont des voix et des individualités uniques. C’est très inspirant de travailler avec elles, non seulement dans le Fire! Orchestra, mais aussi dans les autres projets, et il y en a d’autres à venir ! Donc, oui - avoir deux voix aussi singulières dans le même pays au même moment est assez extraordinaire. Nous vivons une aventure absolument formidable avec le Fire!Orchestra.

Mats Gustafsson © Laurent Orseau

- Parmi vos projets, il y a le solo et cette approche du son très bruyant, très saturé que l’on entend souvent dans votre travail. Comment décrivez-vous votre son et cette énergie dans le souffle ?

Eh bien, c’est aux autres personnes de décrire ce que je fais !
Mais je suis très intéressé par le fait de repousser les frontières et la définition de ce qu’est la musique, ce qu’est le bruit ? Qu’est-ce que c’est ?
Le paramètre le plus important pour moi est l’énergie. Peu importe l’instrument que j’utilise. L’énergie n’est pas synonyme de volume, il peut donc s’agir d’une musique à très faible dynamique et pourtant à très haute énergie. Mais si l’énergie n’est pas là, je suis hors-jeu. Pour entendre la beauté, il faut franchir de nombreuses strates et paliers de bruit et de musique parasite. Il faut dévoiler ce qu’est la beauté. Qu’est-ce que la beauté ? Et pourquoi ?
J’ai toujours été intéressé par les frictions et la résistance dans la musique. Pour voir et entendre ce qui se passe quand on ajoute des sons et des couches qui ne « collent » pas. Où la musique vous emmène-t-elle ? Nous créons notre propre beauté. Certaines des musiques de Masami Akita sont parmi les plus belles que je connaisse. L’équilibre de la beauté, de la musique, du bruit… De même, une fugue de J.S. Bach peut faire s’arrêter le temps et nous présenter une réalité totalement différente.

La respiration, c’est tout ! Tout est question de respiration

- En parlant de respiration, c’est un élément très important pour vous. Je pense à votre duo Luft (avec Erwan Keravec). Qui a eu l’idée de cette rencontre entre le saxophone et la cornemuse ?

Erwan et moi nous sommes rencontrés à plusieurs reprises et nous aimons vraiment nos musiques respectives. C’était une étape très naturelle de se mettre à travailler ensemble. Nous jouons aussi souvent que nous le pouvons. J’en profite énormément - puisque la rencontre est nouvelle pour moi – et nous nous retrouvons dans un intérêt mutuel à repousser les frontières et à interagir directement avec la musique. J’ai toujours aimé la cornemuse, surtout dans la tradition Piobaireachd écossaise. Nous avons d’autres projets pour de nouvelles rencontres et nous sortirons notre 2e album en 2021. La respiration, c’est tout ! Tout est question de respiration de toute façon.

- Concernant les couleurs orchestrales, vous surprenez souvent : cordes et clarinettes dans Arrival, flûte dans Defeat, cornemuse avec Luft, double pupitres dans l’orchestre dans Ritual… comment faites-vous ces choix ?

Tous ces choix sont naturels et répondent aux directions que la musique a besoin de suivre, là où elle vous emmène. Le but est, bien sûr, de vous lancer des défis avec de nouveaux sons, de nouvelles perspectives et de nouvelles idées. La musique doit aller de l’avant. Et l’inclusion de nouvelles sonorités d’instruments n’est que l’un des paramètres avec lesquels nous devons travailler pour créer quelque chose de neuf et de novateur. C’est mon espoir et ma conviction. Il faut parfois se donner des coups de pied au cul. Et je ne veux vraiment pas jouer la sécurité. Je ne veux pas savoir ce qui va se passer si on ajoute de nouvelles couleurs au mélange. C’est la clé de tout ça. Il faut explorer et faire des recherches. La recherche est essentielle et nécessaire. Recherche et curiosité.

- Il y a un lien entre les titres de vos projets : Luft, The End, The Thing, Exit, Arrival, Defeat, etc. Y a-t-il un sens caché à cela ? Quel est le sens global ?

Le sens global de… la vie ?
Sérieusement, c’est vraiment une composante du processus. Il appartient à chacun de déchiffrer le sens et les interprétations des différents mots et phrases. Lire les lignes ou entre les lignes, tout est permis. Je ne veux pas dire aux gens ce qu’ils doivent penser, et pourquoi. C’est la beauté de l’art. Le sens doit être trouvé par celui qui écoute ou regarde tout ça. Si un mot ou un titre fonctionne, tant mieux. Les mots ont une grande signification, il faut en tenir compte et les traiter en conséquence.

- La municipalité de Kongsberg (Norvège) et le Kongsberg Gruppen (vendeurs d’armes) menacent la survie du festival de jazz de la ville. Vous avez appelé au boycott par les musiciens de jazz pour soutenir le festival. Que se passe-t-il maintenant ?

Pour l’instant, nous attendons des nouvelles du festival. Ce fut un choc énorme pour tout le monde lorsque le conseil d’administration du festival a changé d’avis, après avoir d’abord rendu public le fait qu’ils avaient coupé les liens et le sponsoring financier du Kongsberg Gruppen. Ils ont changé d’avis après quelques jours, lorsque les politiciens locaux et les entreprises ont fait pression sur le festival pour revenir aux accords précédents. C’est une plaisanterie, toute cette histoire. C’est absurde.
Je ne peux vraiment pas les soutenir. Il y a beaucoup de parrainages louches dans la culture ici et là, mais il faut fixer une limite quelque part - et c’est complètement tordu, pour être honnête. Le fait que la culture soit sponsorisée par un fabricant d’armes ne résout aucun problème, pour personne !
Je ne peux pas soutenir un festival qui est sponsorisé par l’industrie de l’armement - et nous savons avec certitude que leur matériel d’armement finit dans des pays qui ont interdiction d’acheter de tels équipements… et la liste est longue.
Quoi qu’il en soit, le boycott est un outil radical - et ne devrait pas être utilisé trop fréquemment et trop facilement. Mais, là, il n’y a pas d’autres alternatives. Je suis curieux de voir ce qui va se passer ! J’espère que les musiciens vont se lever pour faire ce qu’il faut et dire non. La jeune génération de musiciens a tendance à avoir peur de perdre des concerts et leur « réputation » s’ils disent non, mais il faut mettre le holà maintenant, c’en est trop. Si la ville veut une grande fête en été, elle peut le faire, mais pas avec l’alibi culturel du jazz et de la musique improvisée.

Mats Gustafsson © Rikkard Häggbom

- Quelle place accordez-vous à la commande Actions For Free Jazz Orchestra (de Krzysztof Penderecki) dans la discographie de l’orchestre ?

« Actions » était une œuvre très différente à monter pour nous car c’est une musique écrite par quelqu’un d’autre, avec une histoire qui lui est attachée. Et d’habitude, nous écrivons nous-mêmes toute notre musique. Donc, c’était différent à aborder, il fallait ré-arranger la pièce entière et faire un morceau sans nos chanteuses. Il y avait donc beaucoup de nouveaux éléments et nous n’avons pas pu avoir Johan Berthling à la basse, car il n’a pas pu venir au concert ni à l’enregistrement. C’était une expérience vraiment différente. Néanmoins, nous sommes heureux de la musique et de l’album. Cela représente quelque chose pour nous et nous allons essayer de le rejouer aussi souvent que possible. Nos dates pour 2020-21 ont été reportées, nous y reviendrons plus tard.
C’est une pièce formidable et lorsque nous l’avons réarrangée et ralentie pour en faire une pièce beaucoup plus longue, nous avons découvert de nouvelles couches dans la musique que nous voulons maintenant explorer plus avant.
Je trouve très intéressant et inspirant d’aborder le passé sous un angle nouveau, de l’éclairer sous un jour neuf, de le recycler, de le réutiliser. Mais à ma façon. C’est la clé. Pourquoi répéter quelque chose qui a déjà été fait ? Cela ne sert à rien du tout ! C’est pathétique de voir que la musique improvisée du passé est réutilisée par des personnes sans vision ni perspective. Quand on essaie de jouer la musique de Clifford Brown comme il la jouait dans les années 50 ou quand on essaie de jouer comme Peter Brötzmann dans les années 70, sans y ajouter son propre truc, quand copier devient la norme, ça me fatigue. Il n’y a aucune créativité à copier, ce n’est pas faire de la vraie musique. Copier peut être un outil utile (parmi plein d’autres) pour apprendre à comprendre les mécanismes de la musique, c’est certain et c’est important. Mais quand j’entends des musiciens qui copient le passé, ça ne fait aucun sens pour moi.
Il ne s’agit pas de sport ici, la musique est bien plus importante que cela.
Comme le disait Derek Bailey : « La musique, c’est comme vivre, mais en mieux ».

Il faut trouver de nouvelles choses à faire et combattre les absurdités. Il ne faut pas rester assis sur le cul en attendant que les choses se passent.

- Vous n’apparaissez presque jamais en tant que sideman, mais toujours en tant que membre actif d’un projet, pourquoi ?

Il y a tellement de choses que je voudrais faire en musique, mais le temps est compté. J’essaie de donner la priorité aux projets qui me font vraiment vibrer. Je n’ai rien contre le fait d’être « sideman », je n’y pense jamais. Mais sur scène et en dehors, on partage la musique ensemble, avec les personnes impliquées dans le projet. Je me fiche vraiment de savoir sous quel nom on joue. C’est pourquoi j’ai très délibérément choisi, dès le début, de ne jamais nommer un groupe en y associant mon nom. Cela ne changera pas, il n’y aura jamais de Mats Gustafsson Quartet ou d’Ensemble MG, je déteste cette merde. Cela met l’accent sur une seule personne et ce n’est pas le but de cette musique. Cette musique n’est pas là pour faire « carrière ». Tout est question de partage - et de l’idée et du contenu de la musique. La communication et l’interaction ne peuvent porter que sur le partage. Cela semble naïf, mais c’est ce qui me motive et me nourrit.

- Qu’avez-vous fait en 2020 avec la pandémie, le confinement, les limitations ?

C’est une période terrible. Impossible de voir et de rencontrer vos collègues pour jouer et interagir. Il faut faire autrement, saisir la chance.
Il faut trouver de nouvelles choses à faire et combattre les absurdités. Il ne faut pas rester assis sur son cul en attendant que les choses se passent.
Aussi, j’ai lancé différentes initiatives et j’ai rattrapé mon retard dans le tri des archives à la maison. J’ai lancé une vente aux enchères de disques, par exemple, en invitant mes amis et collègues à contribuer avec des disques, des affiches et d’autres choses. Cela s’est bien passé et j’ai réussi à obtenir de l’argent pour de nombreux objets. Et nous ferons une nouvelle grande vente aux enchères en août, où beaucoup plus de musiciens contribueront avec des objets. [1]

Je vais diriger une nouvelle série de vinyles d’archives de free jazz / psych rock / world music en Suède. [2] On parle d’œuvres importantes - des musiques terribles, inédites, qui verront bientôt la lumière du jour ! J’ai également réalisé des tonnes d’enregistrement et de mixage. J’ai reçu d’importantes commandes pour enregistrer ma propre musique. Christopher Wool m’a demandé d’enregistrer un projet solo dans le cadre de sa série « Black Cross » sur le label Corbett vs. Dempsey à Chicago. Smalltown Supersound m’a commandé un nouveau disque solo. En ce moment, je collabore avec l’artiste visuel Darren Almond. Et je m’entraîne à nouveau comme un fou… Je ne me suis jamais autant entraîné depuis l’âge de 20 ans… Quelle super sensation ! Et il y a tellement de nouvelles choses à explorer sur les cuivres, c’est une source inépuisable de recherche, recherche et recherche. Et encore de la recherche.

Je passe un temps fou sur un projet de film documentaire et de musique de Bengt Nordström. Nous faisons un film et un coffret de 4 LP/4 EP sur Bengt et sa musique. La sortie est prévue pour la fin 2021. Le coffret comprendra une discographie complète de tous les enregistrements de Bird Note. C’est un projet important sur lequel je travaille 24 heures sur 24 en ce moment. La discographie de ce musicien que presque personne ne connaît est très complexe et déroutante. Bengt a enregistré sa propre musique pour saxophone solo à partir de 1963. Et il a tout sorti sous forme de test pressings, des années avant Braxton, Lacy et Evan Parker et d’autres légendes du saxophone solo. Il y a des choses absolument spectaculaires. Bengt était comme un mentor pour moi quand j’étais jeune et je lui dois encore beaucoup. Il est décédé en 2000. Mais sa musique… c’est du lourd. Tellement génial ! Tellement humain. Et bientôt, nous allons le présenter avec ce film et ce coffret. C’est une priorité absolue pour moi.

Fire! a eu une période très créative, même sans se rencontrer en chair et en os. Nous nous voyons chaque semaine sur Skype (le Fire! Pub) pour faire des projets, discuter de l’avenir et expérimenter de nouvelles idées musicales et de nouvelles plates-formes. Nous avons quelques projets…. Donc, oui - la pandémie a été une période extrêmement chargée, un peu folle en fait.
Mais le fait de jouer me manque… la véritable interaction sur scène (et hors scène…). Ce sera bon de revenir à tout cela.

- Lors de son entretien pour Citizen Jazz, nous avons demandé à Ingebrigt Håker Flaten de vous poser une question, la voici : Comment occupez-vous vos journées pour conserver un élan créatif quand tous les aspects habituels du mouvement et de l’interaction humaine ont disparu ou ont totalement changé ? Et pensez-vous que tout cela a définitivement changé et que les choses resteront semblables même après la fin de la pandémie ?

Je le vois plutôt comme une possibilité de faire d’autres choses, de mettre l’accent un peu ailleurs. Le souffle créatif semble être intact. Mon problème est que les heures de la journée ne suffisent pas. Il y a des tas d’idées et de projets qui attendent d’être réalisés en ce moment. Mais l’interaction me manque, fondamentalement… Je n’ai joué qu’avec une seule personne cette année : Christof Kurzmann et c’était génial de jouer en duo. Mais j’espère vraiment reprendre contact avec mes autres groupes et aussi avec certains projets que j’ai planifiés et que je veux vraiment réaliser. L’interaction humaine est essentielle dans la musique à laquelle je crois et l’énergie sur scène me manque, vraiment. La créativité est une chose éternelle. Cette énergie, personne ne peut nous l’enlever.
Nous devons juste rester curieux pour rester… sains d’esprit ! Combattons toutes les stupidités et renvoyons-les là où elles doivent être !

- Le disque Arrival a connu un succès critique et public très important, pour la première et seule fois, il a été cité quatre fois comme disque du mois par l’Europe Media Chart. Quel impact ce succès a-t-il eu sur l’orchestre et sur vous ?

Eh bien, aucun. Ha ha ! Les classements et les listes ne veulent rien dire, au fond. Nous aimons avoir l’occasion de jouer. Nous voulons que les organisateurs soient actifs, qu’ils prennent l’initiative d’inviter des ensembles et des musiciens à faire des choses. Ils ne doivent pas se contenter de lire les classements.
Bien sûr, c’est formidable que les albums obtiennent des reconnaissances de toutes sortes, mais cela ne produit pas vraiment de travail pour nous. Nous aimons que les gens écrivent sur notre musique, mais il n’y a jamais vraiment de conséquences positives certaines. Nous avons juste besoin de jouer, c’est tout !

Mats Gustafsson © Michael Parque

- Quelle musique écoutez-vous lorsque vous voyagez, dans votre voiture, à la maison ?

J’écoute de la musique 24 heures sur 24, que je sois éveillé ou endormi. Pendant la pandémie, j’en ai écouté plus que jamais. C’est un excellent effet secondaire de la pandémie. Je fouille dans mes archives de vinyles et je trouve beaucoup de bonne musique. Il y a de la musique que j’aime mettre en boucle en permanence et celle que j’oublie, ha ha !
J’écoute une grande variété de musiques. Je ne peux m’empêcher d’être curieux de tout. J’ai toujours hâte d’écouter le prochain morceau ! Ces deux derniers jours, j’ai écouté les choses suivantes et d’autres encore : Henri Texier, Fläsket Brinner, Nisse Sandström Kvartett, Bengt Nordström solo, Jackie McLean, Kauro Abe, Helen Merrill, Can, Donovan, Saturn and the Sun, Sun Ra, David Panton Trio, Michael Cosmic, Lars Gullin, Entombed, Steve Lacy, Andreas Röysum Ensemble, The Ugly Ducklings, Roy Brooks and the Artistic truth, Philip Cohran 7’s, la musique carnatique sur le superbe instrument Nadhaswaram, The Cramps, les œuvres solo d’Ingebrigt Håker Flaten, Tape, Simona Feherova, Pierre Henry, Martin Escalante, William Parker, Karen Dalton, Tunji avec Chis McGregor, The Sperm, Mahavishnu Orchestra, Virginia Genta, Archimedes Badkar et, bien sûr, l’excellent nouvel album de Donald Miller : Transgression (beauté de la guitare acoustique solo !) et le nouveau CD Sick de Mikael Marin et Ånon Egeland : « Farvel Farvel » !! Et demain, ce sera autre chose…

rien ne vaut la musique live…. Et les vrais vinyles !

- Lors de la dernière interview pour Citizen Jazz, en 2009, vous veniez de recevoir le prix de l’artiste suédois de l’année et vous parliez de l’immense opportunité qu’apporte internet en termes de possibilités et d’échanges. Que pensez-vous de l’internet aujourd’hui par rapport au jazz, à la musique et aux musiciens ?

Pfff… Difficile de répondre vraiment. Le Web est là. Que pouvons-nous faire ? Nous devons l’utiliser autant que nous le pouvons. Pour nous. Pour que ces outils nous aident à diffuser la musique de toutes les manières possibles. Pour se connecter avec les autres, bien sûr, mais rien ne vaut la musique live…. Et les vrais vinyles…. Rien ne peut me faire changer d’avis à ce sujet.
Toute cette histoire de streaming est problématique. C’est peut-être une bonne chose, pour l’instant, c’est sûr. Tout dépend de la façon dont on le gère. Mais la plupart des connexions internet sont trop lentes. Et c’est à des années-lumière de l’interaction. Mais on peut faire des choses que l’on pourrait même qualifier de créatives, si ça vous chante ! Tous les moyens de connexion sont bons, tout dépend de la manière et du but recherché. Par contre, au diable les réseaux sociaux, c’est trop !
La communication est essentielle dans la musique, dans la vie, sur internet ou ailleurs, ça n’a pas tellement d’importance, tant que nous communiquons vraiment les uns avec les autres de manière ouverte et transparente.

- Quels sont vos projets à venir ?

J’ai vraiment hâte de finir la composition pour le festival Kontinent Dalsland en Suède cet été. Je suis en train d’écrire une pièce solo pour basse et platines pour mon ami, l’excellent bassiste, Michael Francis Duch.
Je vais rester occupé avec les rééditions à venir sur le nouveau label ainsi que tout le travail avec Corbett vs. Dempsey à Chicago et quelques découvertes d’archives étonnantes qui seront publiées en 2021 et 2022. Des trucs dingues ! Des activités discaholic tous les jours et ça me fait du bien !
Je produis des disques pour d’autres personnes et je planifie une multitude de collaborations discographiques, trop nombreuses pour être mentionnées.
En ce qui concerne le jeu, il y a beaucoup de projets pour Fire ! et Fire ! Orchestra en ce moment et aussi bien sûr avec The End ! Et dès qu’il y aura une possibilité de travailler et de voyager avec des musiciens américains, nous allons exploser avec The Underflow à nouveau ! Cette came, c’est vraiment quelque chose !
Je veux travailler davantage avec mon héros Leif Elggren - mon roi ou mon autre roi CM von Hausswolff. Il pourrait même y avoir des projets de Swedish Azz avec mon frère Per-Åke Holmlander.
Je vais essayer de faire un peu plus de choses avec LUFT ainsi qu’avec le duo avec Christof Kurzmann « Falling ». Ce sera une année chargée, ou pas, peut-être que ce sera 2022 ou 2023 ? Avec un peu de chance, nous voyagerons un peu plus tard dans l’année, nous verrons bien.

par Matthieu Jouan // Publié le 11 avril 2021
P.-S. :

[1Voici le détail de la vente.

[2De plus amples informations à ce sujet seront communiquées au printemps.