Entretien

Mats Gustafsson

Rencontre avec le saxophoniste suédois, élu « Artiste de l’année ».

Lors de la remise des Swedish Radio Jazz Awards 2009 à Göteborg Citizen Jazz a rencontré le saxophoniste suédois, élu « Artiste de l’année ».

Mats Gustafsson © J.-M. Laouénan/Vues sur Scènes

Mats Gustafsson ne fera pas de discours. Par une courte improvisation solo, il donne raison à ceux qui ont voté pour lui. Apaisé et - une fois n’est pas coutume - mélodieux, il rend honneur à la musique en douceur et avec amour.

Sa démarche musicale a toujours été exigeante : la mélodie n’y est pas toujours au rendez-vous, les notes sont parfois rares - surtout en solo -, la stridence y a longtemps été prédominante. Mais elle se caractérise par de beaux développements aux constructions inattendues qui enchaînent respirations et instants intensies, et s’organisent autour de phrases très simples ou d’agencements rythmiques insolites.

- Pour vous, artiste sans concessions, peu connu du grand public, quelle saveur prend ce prix ?

C’est une reconnaissance de mon travail jusqu’à ce jour, notamment de la part de mes pairs,d les professionnels de la musique, dans mon propre pays. Il est très satisfaisant, à titre personnel, de recevoir une distinction dans une cérémonie consacrée au jazz. D’autant plus quand on est élu « Artiste de l’année ».

- Visiblement heureux, vous vous êtes tout de suite mis à jouer. A ce moment-là, vous avez offert le spectacle d’un musicien totalement investi par son art. D’où vient cette ferveur ?

D’un mélange entre le vécu, les gens que j’admire, l’art, la politique, l’idéologie… Mon implication doit être totale, sinon ça ne sert à rien. Le résultat doit être physique. La clé c’est d’être spontané. Évidemment, je m’appuie sur la technique, qui me sert de socle pour orchestrer toutes ces choses. Elle me permet d’explorer, de réagir instantanément aux sensations immédiates et de les traduire en musique. Mais j’ai compris très tôt que rien n’était parfait, compris ma technique. En jouant ou en répétant, je crée des sonorités que je ne parviens pas à reproduire ensuite. Elles proviennent d’erreurs techniques et naissent spontanément. Je tente alors de travailler autour : je les corrige pour me rapprocher ce que j’attendais, puis je travaille à les reproduire. Cela m’ouvre des horizons nouveaux, de nouvelles combinaisons percussives.

- Vous améliorez la technique par l’erreur ?

Pas exactement. La technique vient de la maîtrise des erreurs, et non des erreurs elles-mêmes.

Dire qu’il y a trente ans on avait toutes les peines du monde à se procurer une partition…

- Comment envisagez-vous le jazz ? votre propre musique ?

Pour moi, l’avenir de la musique est le son de la résistance dans l’art [1]. Face à qu’on peut entendre aujourd’hui, on constate qu’on est dans le post-post-post… modernisme. Tout a déjà été inventé. En tout cas l’essentiel. Ça ne veut pas dire que la création n’est plus possible, ni qu’on ne peut plus inventer sa propre voix ; mais le résultat ne sera jamais un nouveau style. Pour un musicien de vingt ans, ce sont des temps très intéressants, voire passionnants. Avec l’Internet et tout ce qu’il implique, les jeunes ont à leur disposition un spectre de références et d’influences sans limites. Nous sommes entrés dans une ère où la création et la découverte prennent des formes totalement nouvelles, grâce à l’Internet - les informations sont disponibles rapidement, les échanges et la dématérialisation ouvrent des possibilités infinies. sans oublier que les outils informatiques, eux aussi très accessibles, permettent aux artistes de créer chez eux, dans leur salle de bains. La conjonction de tous ces éléments permet aux plus perceptifs de trouver leur propre voix. C’est très intéressant à observer. Dire qu’il y a trente ans on avait toutes les peines du monde à se procurer une partition… Et quand on aimait la musique underground, qu’on voulait en faire, s’exprimer, il était très difficile d’en écouter. Encore plus ici en Suède qu’en France, j’imagine ! C’est très différent aujourd’hui. Ne serait-ce que pour se faire entendre…

M. Gustafsson - © Stina Gullander

- Justement, on peut s’attendre à l’apparition d’autres musiques. Alors, quelle est la place du jazz dans tout ça ?

La quantité d’information est effrayante ; seuls les jeunes, qui baignent dedans depuis toujours, sont à même d’en tirer le meilleur parti. Et le mélange des genres ne devrait pas, selon moi, engendrer de styles nouveaux. Plutôt une évolution des styles. Aussi le jazz d’aujourd’hui n’est-il pas du jazz pur, mais une multitude de voix rassemblées.

- Que vous apporte votre réputation internationale ?

Un audience que je n’avais pas il y a dix ans. sans doute grâce à l’Internet, d’ailleurs. Artistiquement : des collaborations inédites, résultat de rencontres dans le monde entier. Il fallait aussi que je quitte la Suède, trop petite et trop isolée. C’est un pays un peu à part. Mais c’est là que j’aime vivre, là qu’est ma famille. Je cours le monde sans arrêt. J’aimerais être plus souvent là pour me consacrer davantage à l’enseignement, par exemple. J’ai quelques élèves ; nous travaillons surtout certaines techniques et sonorités. Parfois ma petite famille me suit en tournée, surtout sur les longues durées, comme au Japon dernièrement.

- Beaucoup de concerts à l’étranger, cela signifie beaucoup de projets différents…

Celui qui tourne le mieux est The Thing. Nous avons enregistré à Chicago, dans le même studio que PJ Harvey et Iggy Pop… PJ est une très grande artiste. Je suis prêt, c’est quand elle veut ! (Rires) le résultat, Bag It [2] devrait sortir sous peu. Sinon, je me produis beaucoup en solo, avec le trio Sonore [3]… Je collabore toujours avec Sonic Youth et le guitariste Jim O’Rourke. Enfin, un tout nouveau groupe mêle électro, sax, tuba et vibraphone : ça s’appelle « Swedish Ass » et ça devrait dépoter…

par Jérôme Gransac // Publié le 31 août 2009

[1« sound of resistance in art »

[2Pour Smalltown Supersound, label norvégien sur lequel Mats Gustafsson a enregistré près de vingt disques.

[3Ken Vandermark et Peter Brotzmann