Scènes

Münster Jazz, le langage commun de la musique 🇩🇪

Du 3 au 5 janvier se tenait le Münster International Jazz Festival.


© Ansgar Bolle

Premier festival de l’année en Europe, c’est à Münster que s’ouvre la saison. Toujours programmé par le voyageur curieux Fritz Schmücker, le festival propose un petit tour d’horizon des grandes tendances en cours : groupes et artistes émergents, talents confirmés, scènes européennes et d’ailleurs. Avec plusieurs lieux de concert dans la ville, les trois jours sont bien remplis.

Tijn Wybenga Brainteaser Orchestra © Ansgar Bolle

Rendez-vous dans le théâtre de la ville, 1000 places environ et un son parfait. Ouverture du premier jour par Tijn Wybenga et son Brainteaser Orchestra. Treize musicien·nes sur scène dont un pupitre de cordes. Jeu de couleurs, marimba en touches impressionnistes, riffs chantants, dynamique habile et breaks bien distillés. Cerise sur le gâteau, l’ensemble invite Théo Ceccaldi sur scène pour deux morceaux intenses et virtuoses dans lesquels l’unité de groupe se maintient parfaitement. Le set se clôt sur « You Are My Sanctuary », chanson écrite avec la vocaliste Lizz Wright à propos du trajet du musicien Syrien Wasim Arslan jusqu’aux Pays-Bas, « chanté » ce soir par le trombone de Nabou Claerhout.

C’est ensuite au quatuor Weavers, emmené par la pianiste Makiko Hirabayashi de nous présenter un set mêlé de leur dernier album et de leur nouvel album Gift, qui sortira fin janvier.

Makiko Hirabayashi © Ansgar Bolle

Plusieurs compositions sont inspirées de la musique de Haendel, c’est amusant et très bien fait. Hirabayashi fabrique quelques improvisations organiques où le son devient matière, fondu par les marteaux de son piano percussion, puis l’ensemble se ressoude dans un retour à la mélodie collective.
La soirée se poursuit avec Kind et un concert thématique autour d’anecdotes de vie de famille et de jeux enfantins qui donnent un accent comique aux compositions fanfaresques soutenues par une batterie tonitruante. Ça discute, ça tuile, ça croise, ça fait tourner des motifs, c’est bavard et ça produit les mêmes images que les mots des anecdotes.

Dernier concert du jour avec le clarinettiste Gianluigi Trovesi et son trio pour « Old And New Dances ». Sonorités acidulées et joie partagée pour un public avec lequel il a une relation de longue date, puisqu’il a joué cinq années de suite aux débuts du festival.

Nabou Claerhout © Ansgar Bolle

Le samedi, direction la petite salle du théâtre pour les deux premiers concerts de la journée et l’ouverture par le quatuor Claerhout / Baas / Gaddum / Peet qui nous propose un set original, chargé et doux à la fois. On se laisse bercer par le trombone planant et les parties de guitare virtuose.

On poursuit le voyage avec Chaerin Im Quartet, son piano et son synthétiseur aux sons vintage. On plonge dans de longues sections harmoniques simples et lentes sous lesquelles galope la batterie. C’est rond, doux, cosmique, feutré.

Premier concert dans la grande salle avec le Daniel García Diego Sextet. Le pianiste est notamment accompagné par le trompettiste Miron Rafajlović et la vocaliste Delaram Kafashzadeh. Le leader nous explique qu’il est important pour lui de partager le langage commun de la musique alors qu’iels viennent d’endroits différents.

On poursuit avec Alina Bzhezhinska & Tony Kofi pour « Altera Vita ». J’aime le son du saxophone et le contraste entre les deux instruments, j’apprécie moins les cascades de glissandi à la harpe.

Jasper Høiby’s Three elements © Ansgar Bolle

C’est ensuite au tour du trio Jasper Høiby’s Three Elements de jouer, après une répétition de dernière minute avec Daniel García Diego qui remplace Chaerin Im, malade, au piano. On attend 40 minutes qu’ils s’apprivoisent, c’est rigolo d’attendre comme ça, dans les échos de la répétition derrière les portes closes. J’imagine les musiciens entre le stress et l’excitation de cette situation impromptue. On réinvestit la salle au plafond décoré d’une armée de lampions, le set débute. La mayonnaise met quelque temps à prendre mais je finis par rentrer dans leurs improvisations à motifs répétés. Jasper Høiby dédie le morceau « What It Means To Be Human » à la Palestine et insiste sur le fait qu’il est important de parler de ce qui se passe là-bas, que certains veulent séparer l’art et la politique mais que ce n’est pas le monde dans lequel on vit, et qu’avec lui « you’ll get the full package », que c’est son travail en tant que musicien de parler de ça.
S’ensuit un échange très tendu avec deux spectateur·ices. Le bassiste dit qu’il descendra pour discuter après le concert, qu’il est important d’en discuter même s’ils ne sont pas d’accord. À la fin du set, Fritz Schmücker, le directeur artistique du festival, rappelle que nous sommes chanceu·ses d’être réuni·es ici pour écouter de la musique, qu’il est important d’avoir conscience que les temps sont difficiles et que nous ne pouvons qu’espérer des jours meilleurs.
En introduction du concert suivant, il nous rapporte que les personnes du public et Høiby ont discuté dans le foyer du théâtre et que la discussion s’est terminée par une embrassade.

Louis Sclavis © Ansgar Bolle

La soirée se clôt avec Louis Sclavis pour un voyage en Inde. Les mélodies ramenées d’une « Montée au K2 » ou d’une « Nuit au temple de Kali » sont enivrantes et la force de la conduite énergétique prend aux tripes, notamment lors d’un solo de batterie qui galope à toute vitesse et martèle un groove endiablé.

Le dimanche, rendez-vous d’abord à l’église dominicaine à quelques pas du théâtre pour un solo de Tony Kofi autour de l’immense pendule de Foucault qui règne dans le hall de l’édifice, œuvre d’art de Gerhard Richter. Le souffle organique des arpèges frénétiques et le bruit des clés se multiplient et se diffusent dans l’espace comme de l’encre sur un buvard, magnifique moment suspendu dans l’acoustique incroyable du lieu.

Direction la petite salle du théâtre ensuite pour le duo Xhosa Cole / Tim Gils et le groupe Pauline Réage. Les premiers étirent le temps dans une discussion à deux où le piccolo, la flûte et le saxophone se succèdent aux côtés de la batterie. Les seconds surprennent avec des mélodies vocales originales, une influence punk, des canons à quatre voix qui font tourner une phrase à l’infini, des textes lus, un message politique et féministe qui fait écho à leur nom d’emprunt. C’est ludique, puissant, dense, un brin anxiogène parfois dans la répétition obstinée.

Clara Haberkamp © Ansgar Bolle

Premier concert du dimanche dans la grande salle avec le Clara Haberkamp Trio. La pianiste distille une musique épurée et mélodique. Elle prend le micro pour une superbe interprétation piano-voix de « Danny Boy ».

C’est ensuite au tour de Yom & Ceccaldi Brothers de monter sur scène pour « Le Rythme du silence ». Le clarinettiste explique qu’il s’agit d’un concert en une pièce, pensé comme une grande méditation, comme un voyage interstellaire à travers l’esprit de chacun·e. « Have a nice trip » qu’il dit… avant de se mettre en position du lotus sur son tabouret. Le set tient ses promesses et nous fait voyager dans des textures et des couleurs entrecoupées de mélodies qui nous rappellent aux notes.

On retrouve ensuite Xhosa Cole en quartet pour « FreeMonk ». Monk semble bien être là, fantôme résonnant dans le jeu du pianiste Pat Thomas. Sur demande du public, un rappel mêlant « Round Midnight » et « Blue Monk » emporte rires et adhésion.

Andrés Coll © Ansgar Bolle

Formidable final ensuite avec Andrés Coll « Odyssey ». Originaire d’Ibiza, le leader est accompagné par le poly-instrumentiste marocain Majid Bekkas au guembri et au chant, le violoniste polonais Mateusz Smoczynski au violon, violon électrique et violon baryton et le batteur espagnol Ramón López. Le mélange d’influences est explosif et jubilatoire. Après avoir sauté sur son marimba électrique dans un rebond incessant du corps et des baguettes, Andrés Coll nous présente les castagnettes traditionnelles d’Ibiza lors d’un dialogue ludique avec la batterie (« Sa Llarga »). Pendant « Sandía », Ramón López fait les chœurs depuis sa batterie dans une explosion de joie et de jeu qui irrigue tout le set. Le public est conquis. Pour la dernière chanson du set, Coll s’installe au piano pour une carte postale d’Essaouira, de ses vents et de ses mouettes, beau moment de poésie final.