Entretien

Clara Haberkamp, aux âmes bien nées…

Portrait de la jeune pianiste allemande à la valeur sûre

Clara Haberkamp © Heide Benser

« J’ai fait beaucoup de choses différentes, musicalement  » avoue la pianiste, autrice-compositrice allemande Clara Haberkamp, « mais avec Accumulation, le nouvel album de mon trio [1], j’ai souhaité rester proche du style qui est profondément le mien ».

Clara Haberkamp, aujourd’hui âgée de 31 ans, se rappelle tout à fait le premier concert de jazz qu’elle a donné. Elle n’avait que onze ans et c’était au jazzclub Domicil de Dortmund, ville la plus proche de sa ville natale d’Unna. Elle faisait partie des lauréats régionaux du concours de jeunes talents « Jugend Jazzt ».

Clara Haberkamp © Heide Benser

Les années suivantes ont apporté de nombreux autres prix, distinctions et - ainsi qu’elle est la première à le reconnaître - de formidables opportunités. À certains égards on pouvait s’y attendre, car la région de Rhénanie-du-Nord-Westphalie montre un bel exemple en offrant des dispositifs de soutien à long terme à ses jeunes musiciens depuis plusieurs décennies. Mais même dans ce contexte, il est difficile de se défaire de l’impression que Clara Haberkamp a été reconnue comme un talent très particulier dès son plus jeune âge. Elle évolue au plus haut niveau depuis étonnamment longtemps.

Au sein de l’orchestre régional « jeune » LJJ NRW [2], elle part en tournée en Asie du Sud-Est, en Israël, en Estonie et à Malte. Puis, alors qu’elle occupe le siège de pianiste du jeune Orchestre National de Jazz Allemand [3] elle vit un moment particulièrement important : le concert du 25e anniversaire de l’orchestre célébré avec le chanteur Kurt Elling.

Clara Haberkamp est issue d’une famille de musiciens.
Ses parents sont tous deux saxophonistes et sa mère, llona Haberkamp, est également la biographe d’une des grandes icônes féminines de l’histoire du jazz allemand, la pianiste Jutta Hipp. Très tôt ils l’ont encouragée à développer son intérêt pour la musique. Être femme et musicienne n’a jamais été source de questionnement. Elle leur en est reconnaissante : « L’égalité homme-femme a fait partie de mon éducation. Cela n’a jamais été un problème d’être une fille. Seule la qualité du travail comptait, sans posture, supposition ni a priori ».

Depuis 2010, elle dirige son propre trio avec le batteur Tilo Weber, qui travaille avec elle depuis ses débuts, et le bassiste Oliver Potratz, qui les a rejoints il y a seulement quatre ans – mais cela suffit à la pianiste pour se convaincre qu’« il est le meilleur ». Tous trois ont joué ensemble pour la première fois au club A-Trane à Berlin, invités pour célébrer l’anniversaire d’Herbie Hancock. Depuis lors, le trio ne cesse de susciter l’enthousiasme. Il a notamment remporté le « Newcomer » Award au Festival Jazz Baltica 2011 [4].
Le groupe a travaillé avec des invités de marque. Le bassiste américain Greg Cohen (2013) et le trompettiste néerlandais Ack van Rooyen (2014) ont participé à deux des représentations du groupe lors des festivals d’été « Jazz goes Föhr » dans les îles frisonnes. Encore étudiante en master à Hambourg, Clara Haberkamp a également été chargée de composer pour le NDR Big Band.

L’une des autres facettes de cette musicienne est qu’elle est aussi à l’aise avec l’héritage de Keith Jarrett, E.S.T et Craig Taborn qu’avec celui de compositeurs classiques comme Scriabine et Ravel. Cette double sensibilité ne s’exprime jamais aussi bien dans son jeu que dans le contexte du trio. Bien sûr, enseignants et mentors ont fortement influencé son parcours, notamment le vibraphoniste d’origine américaine David Friedman. Il fut son professeur au Jazz Institut de Berlin et, depuis le début de ses études à l’âge de 19 ans, continue de lui apporter un fervent soutien.

Clara Haberkamp © Domenik Broich

Clara est également professeure non pas dans une, mais deux facultés d’enseignement supérieur de Berlin. Elle poursuit également un doctorat, soutenu par un financement de la « Claussen Simon Stiftung » à Hamburg, qui se penche sur des aspects plus pratiques que théoriques et vise à aider les professeurs à intégrer l’improvisation dans l’enseignement en général et dans le chant en particulier. Ce travail est une motivation supplémentaire pour la jeune pianiste : « J’aime faire se rencontrer les côtés pratiques et artistiques dans un contexte réel  », explique-t-elle.

Cette confiance en sa propre qualité, en ses propres forces, facilite le travail avec les collègues masculins

Elle ressent également que des changements se sont opérés récemment dans son jeu. “Avant, je jouais des couleurs et des humeurs de manière quasi impressionniste. On me qualifiait de joueuse d’humeurs”.
Même s’il n’est pas question aujourd’hui de perdre cette sensibilité, elle se concentre davantage sur son rôle de leader.
Autre changement : après avoir été chanteuse, parolière et pianiste, son nouvel album sera purement instrumental : elle y joue à la fois du piano et du Fender Rhodes, parfois simultanément, développant des fils contrapuntiques d’une complexité fascinante.
Ses remarques éloquentes sur sa propre expérience de femme dans le jazz s’inscrivent bien dans le contexte de cette Journée internationale des droits de la femme, mais ce qui la distingue avant tout, c’est son sens inné de la positivité et son énergie. « Mon opinion sur le sujet des femmes dans le jazz ? Il est important en tant que femme d’être très claire sur ce que vous souhaitez faire et ce qui est musicalement à votre portée. Cette confiance en sa propre qualité, en ses propres forces, facilite le travail avec les collègues masculins. Cette journée est importante car elle nous rappelle ce que nos aînées ont déjà accompli. Ce sur quoi nous pouvons désormais bâtir ce que nous avons à bâtir. »