Nick Dunston, la quête de l’improvisation
Rencontre avec le contrebassiste installé à Berlin
Nick Dunston est un musicien que l’on voit, ces derniers mois, gravir toutes les marches à la vitesse de l’éclair. Membre du remarqué We All Break de Ches Smith avec qui il a récemment joué à Sons d’Hiver, le contrebassiste a pu démontrer sa grande plasticité rythmique. C’est un artiste qu’on s’arrache : avec la vocaliste Mary LaRose, on peut l’entendre travailler le répertoire de Dolphy ; on l’a entendu aussi chez Anna Weber. Mais ce n’est pas un épiphénomène, et nous avions déjà eu l’occasion de l’entendre avec Amirtha Kidambi ou surtout dans son très beau Atlantic Extraction ; compositeur remarquable qui inscrit son propos dans une vraie continuité et se plaît à chercher, Nick Dunston n’a pas fini de nous ravir. Rencontre avec un musicien incontournable.
- Nick, vous êtes un musicien très actif aux Etats-Unis, mais vous êtes encore peu connu en Europe, pouvez-vous vous présenter ?
Je suis un compositeur, improvisateur et interprète. J’ai grandi à New York mais je réside à Berlin depuis fin 2020. C’était, bien sûr, un endroit incroyable pour se développer en tant que jeune artiste, et j’y ai établi la première partie de ma carrière, étudiant et jouant des concerts de jazz et de musique improvisée à la contrebasse, ainsi que composant pour divers groupes et projets à moi. Au cours des deux dernières années, ma pratique s’est un peu plus développée. J’ai commencé à composer pour d’autres personnes et ensembles, à travailler avec des artistes non-musiciens dans des contextes plus interdisciplinaires et à intégrer l’électronique dans mon travail. Bien que le jazz et la Black Music soient essentiels à mes fondements musicaux, cette expansion de mes pratiques m’a permis de me rapprocher de moi-même.
- Vous avez tourné en janvier avec Ches Smith en France à l’occasion de Sons d’Hiver, pouvez-vous nous parler de votre rencontre avec le batteur ?
J’étais fan de la musique de Ches Smith bien des années avant notre rencontre. Actuellement, je joue effectivement avec lui surtout dans le groupe « We All Break ». La première fois que j’ai travaillé avec lui, je faisais partie d’un quartet qu’il avait, avec Mary Halvorson et Liberty Ellman aux guitares. Ce groupe jouait à peu près à l’époque où j’ai commencé à travailler sur la musique de We All Break avec Ches ; la musique des deux groupes est complètement différente, et les deux groupes répétaient aussi beaucoup. Pour la musique de We All Break en particulier, nous avons fait beaucoup d’ateliers en duo pour que je puisse apprendre certaines des subtilités des rythmes haïtiens - c’était bien avant les premières répétitions avec l’ensemble complet. Ainsi, dès le début de notre relation musicale, nous avons eu une période très dense de jeu ensemble, et de création d’un son global de section rythmique.
- Ici, on vous a découvert avec Atlantic Extraction, un album avec votre quintet, où l’on note une forte imprégnation de la musique écrite occidentale. Quelles sont vos influences majeures ? En particulier, parmi les contrebassistes, de qui vous sentez-vous proche ?
Le but de ce groupe est d’impliquer des musiciens de différents horizons en matière d’improvisation - il n’y a pas que des gens qui ont une base de jazz. Et c’était à dessein, car je voulais me mettre dans une position où je devais composer des formes d’improvisation autres que les structures typiques du jazz. L’improvisation libre collective était un aspect important de ce groupe, mais je voulais aussi puiser dans l’autre extrémité du spectre des éléments de mon processus de composition, ce que vous appelez peut-être la « musique écrite occidentale ». Si vous entendez par là la musique euro-américaine ou la musique du Nord, cela inclut des compositeurs européens tels que Berio, Bartók et Ligeti. Mais cela inclut également des artistes qui sont « occidentaux », mais dont les fondements peuvent être au moins partiellement enracinés dans d’autres pratiques. Ainsi, pour ce disque, la musique écrite d’artistes correspondant à cette description serait celle d’Henry Threadgil, Anthony Braxton et Ornette Coleman. En ce qui concerne les contrebassistes, comme toujours, il y en a trop pour les compter, mais ceux qui ont été les plus importants pour moi sont Oscar Pettiford, Ron Carter, Henry Grimes, Charlie Haden, Israel Crosby, Wilbur Ware, Mingus, Joëlle Leandre et Mark Dresser.
- Ce quintet est-il un orchestre régulier ? Quelles sont vos envies dans les albums signés de votre nom, vous qui multipliez les collaborations prestigieuses ?
Ce groupe a beaucoup joué de 2018 à 2020, et lorsque je vivais à New York, c’était mon principal groupe de scène. Actuellement, il n’y a pas de projets de performances futures, car j’ai beaucoup d’autres projets qui prennent la plupart de mon temps. Mais je recommencerai bientôt à travailler avec ce groupe. En ce qui concerne les enregistrements futurs, j’ai pas mal de pain sur la planche. Je suis en train d’enregistrer trois albums avec des projets ambitieux et différents pour 2022, et je vais sortir l’album d’un nouveau projet cette année, intitulé Spider Season, sur Out Of Your Head Records. Pour l’instant, je suis simplement intéressé par le fait de travailler avec différentes personnes et configurations, et de publier ces explorations. Il y a vraiment beaucoup de choses dans mon esprit, et une fois que j’ai une idée de projet qui m’intrigue, je ne peux vraiment pas la laisser partir avant d’avoir au moins exploré l’idée de la réaliser/manifester. Et il y a beaucoup de place pour étudier les possibilités d’utiliser un album comme un moyen d’expression en soi, et pas seulement comme un moyen de reproduire une performance live (non qu’il y ait quelque chose de mal à cela !).
Mon objectif est de devenir plus fluide dans la façon dont j’intègre les effets dans mon jeu
- Pouvez-vous nous parler de Spider Season ? »
Spider Season est mon nouveau trio qui est maintenant mon principal groupe basé aux États-Unis et à New York. Le groupe joue mes compositions originales et nous improvisons aussi librement. C’est un groupe intéressant. D’un côté, vous avez Kalia Vandever au trombone, qui a une formation en jazz mais qui joue aussi avec beaucoup d’artistes plus pop/produits, et elle est très douée avec ses pédales en particulier. De l’autre côté, vous avez DoYeon Kim, qui joue du gayageum. Elle a une grande expérience de la musique coréenne sur cet instrument, mais c’est aussi une improvisatrice féroce avec beaucoup de charisme, mais elle est aussi très polyvalente dans la façon dont elle s’intègre dans tous les groupes dans lesquels elle joue. Je joue de la contrebasse et j’utilise quelques pédales d’effets.
Mon objectif est de devenir plus fluide dans la façon dont j’intègre les effets dans mon jeu. Mary Halvorson est quelqu’un que je regarde pour cela, elle incorpore ses effets de manière si gracieuse et musicale. Nous sortons notre premier album (intitulé « Spider Season ») à l’été 2022 sur Out Of Your Head Records, et nous ferons nos débuts au Long Play Festival de Bang On A Can ce printemps à New York. C’est une grande joie de jouer avec Kalia et DoYeon. C’est extrêmement dynamique et plein d’inventivité, en particulier sur le timbre. Je suis très fier de ce trio et j’ai hâte de le faire découvrir à davantage d’auditeurs.
- Vous êtes actuellement en résidence avec l’ensemble Wet Ink, pouvez-vous nous en parler ?
Je suis très heureux de travailler avec Wet Ink en tant qu’artiste en résidence cette année. Non contents d’être d’incroyables interprètes et improvisateurs, ils ont une vision globale de la composition. Ce sont vraiment de merveilleux collaborateurs. Je suis en train de composer une pièce pour eux et quelques invités spéciaux, dont moi-même en tant qu’interprète. Il s’agit d’une pièce qui explore les différents aspects culturels et créatifs de la radio, et en plus de la contrebasse, je vais jouer avec une radio à traitement électronique. En novembre, l’ensemble a joué une série de pièces qui sont en quelque sorte des versions préliminaires de ce qui deviendra la pièce complète. La première de cette pièce aura lieu à New York le 22 juin 2022.
- Récemment, nous vous avons entendu avec Mary LaRose, autour de la musique de Dolphy, avec notamment Tomeka Reid. Pouvez-vous nous parler de ce projet ?
Ce projet présentait la musique d’Eric Dolphy arrangée par Jeff Lederer et Mary LaRose, avec des paroles originales mises en musique par Mary. C’était un honneur de m’engager aussi profondément dans la musique de Dolphy. Je suis fan depuis que je suis contrebassiste. Les arrangements des morceaux sont également très créatifs tout en étant bien documentés sur les compositions. Jouer dans ce groupe avec Tomeka Reid en particulier était amusant parce que lorsqu’elle le désire, elle a une approche de l’instrument particulièrement riche, presque comme une contrebasse, avec laquelle il est très enrichissant d’interagir.
- Mary LaRose n’est pas la seule chanteuse avec laquelle vous collaborez, on vous a entendu avec Amirtha Kidambi, notamment dans le très beau From Untruth. Quel est votre rôle auprès de la chanteuse ?
J’ai quitté le groupe Elder Ones d’Amirtha Kidambi au début de l’année 2020, mais je considère que ce groupe a été une étape très importante dans mon développement en tant que musicien. Il m’a vraiment poussé dans de nombreux domaines différents en tant qu’interprète et improvisateur à la contrebasse. Une grande partie de cette musique, en particulier sur From Untruth, donne beaucoup de responsabilités à la contrebasse, à la fois en termes de direction pratique du groupe à travers la musique, et en termes de libre créativité et d’improvisation ouverte. Je suis très reconnaissant d’avoir travaillé avec ce groupe.
- Plus globalement, quelles sont vos envies et vos projets pour les mois à venir ?
J’aimerais poursuivre mon travail d’improvisateur/performer dans des contextes de collaboration, mais je veux aussi m’assurer qu’à l’avenir, je puisse investir autant de temps et d’énergie que possible dans mes propres projets. En plus de jouer et d’enregistrer avec mes groupes dans divers contextes plus conventionnels, depuis que j’ai déménagé à Berlin, j’ai élargi mes rôles dans mon travail, comme je l’ai déjà dit - composer pour d’autres ensembles, mais aussi m’engager dans un travail interdisciplinaire.