Scènes

Souillac en Jazz fait de la résistance

Une semaine de festival s’achève par trois belles soirées.


Avec ses 48 éditions, le festival de Souillac, fondé par Sim Copans et maintenu depuis par une équipe active et fidèle de bénévoles, peut sans rougir en remontrer aux autres festivals de l’Hexagone. Ils ne sont pas nombreux à présenter une telle longévité et une qualité de programmation sans cesse renouvelée.

Souillac est une petite ville du Lot, longée par la Dordogne et traversée par la voie royale Paris-Toulouse avec un bassin de population épars et un financement en conséquence. Et pourtant, c’est ici que passent aussi bien les grands noms du jazz international que les groupes émergents, ceux du dispositif Jazz Migration notamment, auquel le festival est affilié.
Le Lot étant touristique, le public des concerts est aussi renforcé par un contingent estival, sans quoi la billetterie en souffrirait.
Sous la houlette déterminée et calme de Robert Peyrillou, le directeur artistique, c’est une semaine entière qui se déroule, avec du cinéma – la projection de Zorn I et II de Mathieu Amalric ; une randojazz, une exposition de BD jazz, des concerts gratuits dans la ville et quelques excursions chez les voisines, dont le fameux concert dans la grotte de Lacave, une salle naturelle à l’acoustique toute particulière – cette année c’est le duo NoSax NoClar.

Adama Sidibe et Clément Janinet © Souillac en Jazz

Après un solo de flûte de Christelle Raquillet à l’église de Calès, c’est de nouveau sur la place Pierre Betz, en extérieur et avec la splendide abbatiale en coupoles comme fond de scène, que se joueront les concerts.
Clément Janinet est un violoniste surprenant et inventif dont on parle depuis longtemps. Il présentait ici son « Concerto pour Sokou », un programme boisé avec Clément Petit au violoncelle, Joachim Florent à la contrebasse et Hugues Mayot à la clarinette. Quant au sokou, l’instrument traditionnel malien à une corde, il est joué par Adama Sidibe, un personnage haut en couleur, issu d’une famille de bergers. En introduction, de longs accords et une écriture qui s’équilibre entre pizzicati et coups d’archets. La clarinette fait jeu égal avec le violoncelle et le sokou vient alors ponctuer ou survoler l’ensemble. Cette synergie entre Afrique et Europe rappelle les aventures de Hugues de Courson, comme Lambarena.
L’écriture est belle, pas trop chargée et lorsque Janinet et Sidibe se lancent dans un échange serré, la magie opère. La nuit tombe sur un bourdonnement de cordes tandis que l’abbaye se teinte de bleu et contraste avec le ciel étoilé.

Léa Ciechelski © Jean-Claude Elisas / Souillac en Jazz

Le lendemain, c’est le quartet Prospectus (lauréat Jazz Migration en tournée) avec la saxophoniste et flûtiste Léa Ciechelski dont nous parlions très récemment. Sur scène, il s’agit d’une histoire de textures et d’unisson. Les couleurs sont étalées en blocs monochromes et le groupe fait bloc en déroulant des riffs et des cellules répétitives. Sans piano ni guitare, la musique monodique est aérienne et fluide, la paire contrebasse-batterie assurant un roulis solide pour les deux soufflants.

Le second concert de la soirée, devant une large assemblée, est celui du renommé contrebassiste Renaud Garcia-Fons qui vient jouer à Souillac pour la quatrième fois déjà ! Accompagné par des musiciens amis, il propose une musique universelle qui fait fi des frontières linguistiques ou culturelles. Erya Turkan est au kemence, petite vièle turque à trois cordes, Serkan Halili est au qanoûn, de la famille des cithares, et Kiko Ruiz à la guitare flamenca. Les contours de la Méditerranée sont explorés musicalement et Garcia-Fons n’est pas avare d’anecdotes, parle beaucoup au public et raconte les histoires qui sous-tendent le concert. C’est un succès.

Renaud Garciá-Fons © Jean-Claude Elisas / Souillac en Jazz

Le dernier soir, tout le monde se réjouit de l’arrivée de la diva, la grande Cécile McLorin Salvant en tournée avec son quartet et son pianiste préféré Sullivan Fortner. Mais l’été est une saison capricieuse et la perspective d’un orage en soirée oblige l’organisation a se replier dans la salle des fêtes de la ville, un bâtiment fonctionnel, sans charme et chauffé à blanc mais qui a le mérite de surplomber la ville. Depuis les sièges, à travers les portes grandes ouvertes pour faire entrer l’air, on voit les Causses du Quercy disparaître sous la pluie et les éclairs.
L’orage est bien arrivé, mais la foudre a frappé la salle : Cécile McLorin-Salvant a offert une prestation électrique au public nombreux.
Vêtue d’une robe blanche qui attirait tous les regards, elle rentre en scène et, sans un mot, commence par « La Route enchantée » de Charles Trenet en explosant – comme elle sait si bien le faire – la mélodie, en déplaçant les accents des phrases, en transformant la rengaine à sa main. Le ton est donné.

Cécile McLorin Salvant © Jean-Claude Elisas / Souillac en Jazz

Avec une tessiture très large et sans faiblesse, elle peut changer de registre au sein même d’une seule mesure. Sur scène, tout passe par la voix et quelques mimiques, mais elle reste posée, ancrée au sol, très terrienne. En adaptant chaque soir son répertoire au public et au lieu, elle surprend autant ses musiciens que son auditoire. Plusieurs formats d’interactions se succèdent : en quartet, en trio, en duo, elle choisit un titre dans sa liste et c’est parti. Sullivan Fortner a un jeu qui plonge dans l’histoire du piano jazz, prêt à tout jouer. Ici, à Souillac, elle privilégie les chansons en français et aux deux petites filles venues lui apporter des fleurs en fin de concert, elle chantera la « Vie en rose », aussitôt repris par la salle. Trois rappels qu’elle viendra assurer seront nécessaires pour laisser partir le groupe, tandis que l’orage du dehors fait pâle figure à côté du concert.

C’est ce genre d’évènement magique qui est rendu possible par un festival de jazz et à Souillac la recette fonctionne. Dans deux ans, ce festival fêtera ses 50 ans, un jubilé à fêter avec force et qui ne manquera pas d’interroger l’avenir. Qu’adviendra-t-il de ce festival si l’équipe de bénévoles faiblit ou s’étiole ? Quelles évolutions et changements envisager pour pérenniser son existence ? Toutes les questions sont sur la table car personne ne veut voir ce bel évènement disparaître. En attendant, Souillac en jazz tient bon et peut être fier de sa résistance.