Chronique

Tania Giannouli Trio

In Fading Light

Tania Giannouli (p), Andreas Polyzogopoulos (tp), Kyriakos Tapakis (oud).

Label / Distribution : Rattle Records

Surtout ne pas commettre l’erreur de détourner le regard en observant la photographie qui illustre In Fading Light, le nouvel album de la pianiste grecque Tania Giannouli. Bien au contraire, il faut comprendre le message d’espoir inscrit en filigrane : cette piscine à l’abandon cède petit à petit la place aux fleurs et autres herbes folles occupant le premier plan. Métaphore d’une Grèce blessée par les ravages du néolibéralisme et qui rassemblerait ses forces pour se tenir debout ? Image de notre monde en proie à un matérialisme dévastateur guetté du coin de l’œil par Dame Nature prête à prendre sa revanche sur les folies humaines ? Allez savoir…

Tania Giannouli est une musicienne aujourd’hui reconnue, tant pour ses concerts en solo que pour ses trois précédents albums, tous publiés sur le label Rattle : Forest Stories (2012), Transcendence (2015) et Rewa (2018). On lui connaît un esprit de conquête d’espaces sonores inédits et quelques collaborations qui disent son désir d’exploration tous horizons : avec la chanteuse Maria Pia De Vito, avec le musicien néo-zélandais Rob Thorn ou encore le percussionniste italien Michele Rabbia. C’est une artiste polyvalente, dont les passions allient musique classique ou folklorique, ambient, musique contemporaine et autres projets électroacoustiques.

La voici aujourd’hui à la tête d’un trio dont la formule est à elle seule une singularité. À ses côtés, deux compatriotes, le trompettiste Andreas Polyzogopoulos et l’oudiste Kyriakos Tapakis : « L’oud et la trompette sont deux de mes instruments préférés. Un trio de piano avec ces instruments est inhabituel, mais je voulais explorer les belles textures, les tonalités et les résonances émotionnelles qu’offre cette combinaison d’instruments ».

Sérénité, contemplation et espoir sont les maîtres mots de ce disque dont la musique vous emporte loin, en douceur, dans son irrésistible vol de nuit (allusion au splendide « Night Flight », l’une des douze compositions du disque, toutes signées Tania Giannouli). Ici, chaque note semble comptée – vous n’entendrez aucun déferlement, les prises de parole sont toujours concises, même lorsque l’un des musiciens se retrouve seul (par exemple sur « Moth » joué à l’oud) – et le silence occupe une place essentielle, celle de cet « entre note » symbole de respiration et de conscience. In Fading Light se présente comme un rêve éveillé, aux motifs souvent répétitifs. C’est un songe dont le minimalisme n’est d’ailleurs pas si éloigné de celui d’un label bien connu pour sa volonté d’épure, ECM et son mentor Manfred Eicher. La combinaison des trois instruments exprime l’harmonie et la paix. Le piano lance des appels, l’oud mêle les entrelacs de ses arpèges au souffle souvent ténu de la trompette. Et puis, au détour de ces mélodies suggérées peut surgir une danse joyeuse (« Bela’s Dance »), pour rappeler que la vie est la seule cause qui vaille et que les petits bonheurs sont à portée de main. Parfois aussi, on comprend que le trio est traversé par des interrogations existentielles, celles-ci aboutissant à une forme plus expérimentale et plus incertaine de la musique, comme une quête éperdue (le bien nommé « Disquiet »).

Il y a dans le recueillement de In Fading Light beaucoup plus qu’une leçon de sagesse : Tania Giannouli confirme avec son quatrième disque qu’elle est une musicienne de premier plan, capable aujourd’hui de partager, dans leur expression la plus directe, les élans d’un cœur qui bat très fort.