Chronique

Tania Giannouli

Transcendence

Tania Giannouli (p), Alexandros Botinis (cello), Guido de Flaviis (saxes), Solis Barki (perc, objets), Giannis Notaras (dms)

Label / Distribution : Rattle Records

Pour composer sa suite Transcendence, la pianiste grecque Tania Giannouli a choisi de s’entourer d’un quartet de musiciens plus proche de la musique écrite occidentale. A l’écoute de « The Weeping Willow », le premier titre de l’album, on découvre qu’elle aussi évolue entre divers univers sensibles, bien soutenue par l’archet soyeux du violoncelle d’Alexandros Botinis. Dans son toucher extrêmement précis, d’une main droite légère et aventureuse, se mêlent improvisation, goût très présent pour les atmosphères cinématiques et une forme de spleen qui doit tout autant à Schumann qu’aux musiciens de jazz européens marqués par l’esthétique ECM. Du premier, elle garde un goût pour la mélodie ouvragée mais insaisissable qu’on retrouve dans « From Foreign Lands », avec cette évocation du Kinderszenen. Des seconds, ce jeu permanent avec les codes de la musique classique et traditionnelle.

Lorsqu’elle amalgame doucement le célèbre thème de Schumann aux rythmes balkaniques proposé par le percussionniste Sofis Barki, c’est un cri d’amour à sa terre qu’elle attache avec force à l’Europe, dans un mélange de tristesse et d’espoir. Ce sentiment dual transcende sa musique : l’indolence de « The Sea » et ses timbres concordants où le violoncelle et le saxophone de Guido de Flaviis sonnent clairs comme l’onde peut, en quelques morceaux, laisser place à des turpitudes soudaines. Ainsi « Mad World » où l’archet devient nerveux pendant que le saxophone se fait tempétueux. Dans ce cas, la pianiste s’arc-boute, tient tête avec une main gauche autoritaire, jusqu’à retrouver une certaine sérénité non dénuée de circonspection.

Difficile de ne pas reconnaître dans cette suite le portrait d’une Grèce déchirée par les mémorandums et les raisons d’Etat qui tente de survivre et de se relever malgré les avanies et les trahisons. Le propos n’est jamais appuyé. L’écriture de Giannouli est suffisamment fine pour ne pas tomber dans la démonstration. Simplement, au détour d’« Obsession », une colère monte du cœur de l’orchestre ; elle roule dans la batterie de l’invité Giannis Notaras, mais elle n’est jamais vaine. Elle préfère danser sur les rythmes de « Sun Dance », le sommet de l’album où l’euphorie du quartet évoque quelque lointain rebetiko. Danser, toujours, face aux destins funestes. C’est la meilleure des réponses.