Chronique

Giannouli, Thorne, Garden

Rewa

Tania Giannouli (p), Rob Thorne (ngā taonga pūoro), Steve Garden (traitements).

Label / Distribution : Rattle Records

C’est une histoire peu banale. Au mois de mai 2017, la pianiste grecque Tania Giannouli, dont l’appétit pour l’improvisation n’est pas un secret, a rencontré pour la première fois Rob Thorne, un musicien néo-zélandais adepte des instruments maoris qu’on connaît (ou pas) sous le nom de ngā taonga pūoro. Dès le lendemain, tous deux sont entrés en studio où ils ont laissé éclore leur musique commune (mais très loin d’être ordinaire), sous l’œil attentif et surtout les oreilles de Steve Garden, ingénieur du son et fondateur du label Rattle. Quant à savoir si l’expérience aurait un lendemain, on verrait bien.

On peut voir, justement, ou plutôt écouter le résultat de ce travail à trois qui voit le jour sous le nom de Rewa. Voilà un disque pour le moins singulier, dans lequel il fait bon se perdre. Où sommes-nous ? Quand sommes-nous ? Peut-être égarés, à chercher notre chemin à tâtons dans la nuit noire, cernés par d’étranges créatures et leurs appels lancinants ? À moins que la machine à remonter le temps nous ait projetés dans un monde ancestral, impossible à dater. Tout cela, Tania Giannouli et Rob Thorne le savent mieux que quiconque, eux qui ont œuvré à une éclosion sans préméditation. Leur musique minimaliste et mystérieuse, presque animale, laisse une large place aux silences et s’attache plus à la confrontation des sons qu’à la mélodie ; elle se présente comme un voyage dont il est tout aussi difficile de connaître le point de départ que la destination. Une errance dans un temps qui ne compte plus. Et c’est tant mieux… Souffle surgi des ténèbres, tel un vent qui s’engouffrerait sous une porte, cordes frappées ou pincées du piano, bruitisme furtif, impressionnisme évanescent. L’idée que chaque seconde, à peine née, s’enfuit pour laisser la place à la suivante.

Rewa ne donne aucune réponse aux questionnements qu’il suscite et on ne le lui reprochera pas. À chacun d’entre nous de laisser son imagination cheminer au gré d’un dialogue aussi mystérieux que fécond.