Tomeka Reid Quartet
Old New
Tomeka Reid (cello), Mary Halvorson (g), Jason Roebke (b), Tomas Fujiwara (dms)
Label / Distribution : Cuneiform Records/Orkhêstra
Avec 17W, son premier album avec ce quartet, Tomeka Reid avait marqué les esprits et pris des engagements pour plus tard. Comment pouvait-il en être autrement ? La violoncelliste, membre de l’AACM, éclabousse de son talent tous les projets auxquels elle participe, fait la jonction entre les traditions de la Great Black Music et l’improvisation européenne [1], mais aussi avec un jazz teinté de blues, les deux pieds plantés dans l’Illinois, mais qui ne rechigne pas à quelques pas de côté new-yorkais. Écoutons le fabuleux « Wabash Blues » qu’elle ouvre avec une grâce certaine avant de laisser la contrebasse de Jason Roebke délimiter une surface que la guitare de Mary Halvorson ne va cesser de rogner, élimer, plus dans une volonté de donner du mouvement que de polir. Une liesse communicative à trouver des angles aux arêtes incisives avec la pulsation luxuriante de Tomas Fujiwara. Un précipité : en quelques instants, toute la fluidité et l’explosivité de Old New. Nouvel album au titre des plus évocateurs.
Nous le savons, le souhait de Tomeka Reid avec ce beau quartet est de construire un orchestre à cordes et d’en exploiter toutes les ressources. Dans « Old New », son violoncelle, volubile et déchaîné, s’ouvre à toutes les discussions. Il se love dans les circonvolutions sinueuses de la guitare, leur offre même une sorte d’écho pour mieux revenir à la rythmique de Roebke. Le morceau y gagne une douceur et une continuité qui tranchent avec les coups de boutoir de la batterie et les tentations de multiples pizzicati. C’est un fil d’Ariane mélodique, une manière de tenir la main de l’auditeur et de l’entraîner dans des profondeurs plus complexes, tel ce magnifique « Aug 6 » qui prend le chemin inverse : les instrumentistes partent d’une improvisation où chaque son palpite, où la corde de violoncelle qui claque répond au tambour et où peu à peu grossit une frondaison cubiste que la guitare d’Halvorson amorce avec subtilité, tandis que le violoncelle entretient une flamme fragile mais éclairante.
Tomeka Reid a une vision très précise de la musique qu’elle veut. De l’idée qu’elle poursuit. Old New, c’est la reprise en main d’un matériel commun, d’une histoire ancienne dont elle est la digne héritière pour en faire son langage propre. On aimerait pouvoir dire qu’il y a l’influence de Braxton, des Mitchell (Roscoe autant que Nicole, dont elle est si proche), voire d’Eric Dolphy auquel on pense parfois fortuitement (« Sadie »). Mais à l’écoute de ce disque, nous sommes déjà au-delà de ça. De ses recherches incessantes, comme de son apprentissage de la musique classique occidentale, la violoncelliste a su trouver son propre langage et a su le faire passer auprès des musiciens qu’elle réunit ici. Ce quartet réunit des solistes avides et des fortes têtes. Ils auraient pu se vampiriser. Ça frotte, bien sûr dans des morceaux comme « Nikki’s Bop », mais c’est le but ultime. Au contraire, on trouve ici une concorde et une humilité qui fait toute la magie d’un disque actuel d’ores et déjà appelé à devenir intemporel.