Chronique

Trio Ivoire XX

Enchanted Forest

Hans Lüdemann (p), Aly Keita (balafons), Christian Thomé (dms, elec), Lisa Wulff (b), Alexandra Grimal (ts, ss), Simin Tander (voc), Tamara Lukasheva (voc), Amanda Becker (voc)

Label / Distribution : Intuition

Si Hans Lüdemann a toujours tout compris de l’art du trio, qu’il mène avec talent dans des projets comme Ivoire avec Christian Thomé et Aly Keita depuis plus de 20 ans, on sait qu’il ne se limite pas au triangle. Avec le Trans Europe Express (TEE), il a expérimenté les orchestres plus larges ; ne restait plus qu’à faire la jonction, ou du moins la mise en perspective. C’est chose faite avec le Trio Ivoire XX qui met le vénérable orchestre au cœur rythmique d’un octet mouvant. Une formation qui l’augmente davantage qu’il le complète, à commencer par la douceur poétique d’Alexandra Grimal, membre du TEE, qui badine avec le balafon de Keita sur « Ocre », voix parmi les voix dans cette discussion musicale qui convoque les esprits. On la retrouve plus vindicative sur « Run XX », sous la férule d’une batterie impaire, mais c’est bien une recette commune qui s’applique, celle de faire circuler une tournerie qui évoque les pygmées Aka et leurs rythmiques exigeantes.
 
Car c’est bien de chant dont il s’agit dans cet Enchanted Forest. Un chant profond, porté par tout l’orchestre, et pas seulement par ses trois chanteuses. Simin Tander est, parmi elles trois, la plus présente ; et même si dans « Dark Light » elle donne à Ivoire des reflets un peu trop pastel, sur « Round and Round » elle éclaire le disque de couleurs différentes. En choisissant avec le piano de Lüdemann une clairière verte et large, l’Allemande aux ascendances afghanes dévoile une respiration dans la forêt. Le rôle des deux autres chanteuses, Tamara Lukasheva (Patchwork of Time) et Amanda Becker, est résolument différent. Sur « Ocre », leur voix s’accordent en une polyphonie qu’on croirait empreinte de magie. Le balafon comme le piano se mêlent à la mélodie comme une couche de poussière qui se déplace au gré du vent et change la physionomie du paysage.
 
Le trio Ivoire est devenu XX, et personne n’a oublié le L dans le titre, même s’il est devenu extra-large. Mais pour entourer son groupe, Lüdemann a fait le choix des musiciennes. À côté de Grimal et des chanteuses, pour cette parenthèse enchantée et en chanson, on découvre la contrebassiste Lisa Wulff, que les amateurs de jazz vocal auront déjà remarquée auprès de Cecilie Nörby. Il en résulte un disque très cohérent qui fait le pari d’une Afrique fantasmée, aux contours flous et oniriques mais ne tombe jamais dans le poncif. Une continuité des choix du Trio Ivoire qui se renouvelle en parvenant à ne pas se diluer.