Chronique

pAn-G

pAn-G

Aloïs Benoit (euph, tb), Jean Dousteyssier (clb), Thibault Florent (g), Rémi Fox (as), Roman Lay (vib), Yannick Lestra (Rhodes), Thomas Letellier (ts), Gabriel Levasseur (tp, bugle), Alexandre Perrot (b), Ariel Tessier (dms)

Label / Distribution : Autoproduction

Le format court - quatre compositions pour trente-et-une minutes d’un étonnant flux musical - de cette première production du groupe pAn-G mené par le tromboniste Aloïs Benoit, ne saurait en rien atténuer son impact. C’est le disque puissant d’un grand orchestre, tout simplement ; il est à écouter à volume sonore élevé, comme une déclaration enflammée faite au jazz dans son acception la plus libertaire et, surtout, le fruit du travail d’un tentet qu’on rangera dans la catégorie déjà bien fournie des « grands formats ».

Aloïs Benoit est loin d’être un inconnu, en particulier des Lyonnais qui savent son implication dans des formations telles que Bigre ! (un autre grand format agitateur dont chaque apparition est l’assurance d’un long moment festif et volontiers débridé) ou The Amazing Keystone Big Band, qui fait beaucoup parler de lui depuis quelque temps avec la publication de son deuxième disque. Cette adaptation jazz très goûteuse du Pierre et le Loup de Prokofiev pourrait bien en effet devenir, au fil des ans, une référence en la matière, et entrer sur la pointe des pieds au panthéon des disques sans âge qui passent de génération en génération, au service de la musique et de sa découverte par les enfants [1]. On peut aussi croiser Aloïs Benoit du côté de chez Docteur Lester, autre formation made in Rhône-Alpes créée par le trompettiste Rémi Gaudillat au service du souffle, ainsi qu’en bien d’autres occasions - comme le prouve sa biographie éloquente.

Mais à lui seul, et même s’il signe ici l’ensemble des compositions, Benoit ne pourrait développer son idiome avec la puissance requise ; pour y parvenir, il s’est donc acoquiné avec une bande de jeunes trublions – dont les chemins se croisent pour la plupart au CNSM de Paris – à qui, manifestement, rien ne fait peur. Dans ces conditions, on ne s’étonnera pas d’apprendre que le clarinettiste Jean Dousteyssier vient d’être adoubé par un autre Benoit, Olivier, pour intégrer la nouvelle mouture de l’ONJ, dont les premières incartades sont attendues non sans impatience. [2]. Il y a donc beaucoup de souffle dans l’air du côté de chez pAn-G (qu’on nous pardonne la formule) et l’écoute de son premier disque n’est pas sans conséquences. C’est un peu comme si vous décidiez d’ouvrir la vitre d’une voiture lancée à pleine vitesse et de pointer le bout du nez dehors. L’effet est garanti : on en ressort illico ébouriffé et l’expérience peut laisser des traces durables sur l’organisme qui vient d’absorber en un instant une forte dose d’oxygène. Très vivifiant !

pAn-G, c’est avant tout l’idée d’une masse orchestrale brute qui se déploie avec beaucoup d’intensité - là est l’influence d’Olivier sur Aloïs - dès les premières (dé)mesures majestueuses de « Pangée », sa composition introductive propulsée très haut par un tutti enragé de plus de deux minutes. Le calme relatif qui s’ensuit est prétexte à une déambulation faussement gourmande qui mène le groupe à un troisième mouvement convulsif, pas si éloigné de l’esthétique de certains groupes de rock progressif. On pense parfois à Présent sur « Golgoth IX » : les assauts répétés de l’orchestre dans une urgence sombre y cèdent la place aux bouillonnements de la clarinette basse de Dousteyssier. Celui-ci, à la manière d’un sorcier, lui fait subir une étrange mutation en la menant à la transe, jusqu’à la pousser dans les ultimes retranchements du cri. Il en ira de même pour ces « Eaux pâles » qui s’écoulent d’abord dans une (in)tranquillité bruitiste surlignée par le travail de Thibault Florent à la guitare et d’Ariel Tessier à la batterie ; des eaux qui finiront par se troubler comme l’opale sous les injonctions de musiciens ayant choisi de passer en force, inspirant à Thomas Letellier une intervention noueuse à souhait au saxophone ténor. Soulignons aussi la remarquable mise en couleurs assurée par Yannick Lestra au Fender Rhodes et Romain Lay au vibraphone. Quatrième pièce de ce tableau singulier, « Sans sous » vient confirmer, par sa longue progression hypnotique d’abord collective, puis à travers un solo lumineux de Rémi Fox avant un final enjoué aux manières de big band, toute la richesse d’une formation dont la puissance ne pourra échapper à personne.

pAn-G, Pangée... L’étymologie en dit long, ici, sur la volonté de faire voler en éclats les barrières de la tranquillité des paysages par une musique constamment parcourue de frissons inquiets aux contours déchirés ; le repos n’est pas à l’ordre du jour, ce sera pour plus tard… Son aérochoc est des plus efficaces !



par Denis Desassis // Publié le 16 décembre 2013

[1Pierre et le Loup et le jazz fait suite à un premier live enregistré en 2011 au Festival de Vienne. Le big band, qui a vu le jour en 2010, est mené par de fortes personnalités telles que Bastien Ballaz, Fed Nardin ou David Enhco.

[2Olivier Benoit s’y connaît lui-même en formations étoffées puisqu’il dirigeait jusqu’ici le Circum Grand Orchestra).