
Docteur Lester
No Way !
Rémi Gaudillat (t), Cédric Gautier (t), Yannick Pirri (t), Loïc Bachevillier (tb), Sylvain Thomas (tb), Aloïs Benoit (euph, tb), Sébastien Pigeron (tuba), Vincent Laibe (dms) + Glenn Ferris (tb).
Un petit passage à vide ? Besoin d’une cure de vitamines ? Et si vous pratiquiez la médecine douce du Docteur Lester ? Elle devrait vous guérir de bien des maux. Née du côté de Lyon sous l’impulsion du trompettiste Rémi Gaudillat, elle est aussi et avant tout un clin d’œil appuyé au Brass Fantasy de Lester Bowie.
Car ce trompettiste trop tôt disparu [1] n’était pas seulement un des membres fondateurs de l’Art Ensemble Of Chicago : en imaginant sa Fantaisie cuivrée, une formation dominée par la présence massive de soufflants [2], Bowie souhaitait revenir aux origines du jazz, et en particulier à l’expression urbaine de ses fanfares. Pour y parvenir, son groupe n’hésitait pas à proposer la relecture de hits souvent puisés dans un répertoire « hors jazz » : il renouait ainsi avec la tradition d’une musique à la fois vivante et populaire, jamais exempte d’une bonne dose d’humour. Parmi les célébrités ayant eu l’honneur du LBBF, citons notamment James Brown, Sade, Whitney Houston, Michael Jackson, Marilyn Manson ou encore les Spice Girls. Mais en reprenant aussi à son compte la musique de Roland Kirk, Billie Holiday ou Marcus Miller, Lester Bowie savait instiller un haut niveau d’exigence dans sa démarche artistique. Culture dans la joie, joie dans la culture…
Docteur Lester est par conséquent une sorte de pari : celui qui consiste à rendre implicitement un hommage appuyé au musicien et à son état d’esprit, tout en s’affirmant comme un groupe qui serait tout sauf une pâle copie. Dans une formule très proche de son modèle – trois trompettes, trois trombones, un tuba et une batterie – la formation emmenée par Rémi Gaudillat prône le rassemblement autour de valeurs simples et fédératrices : celles de « ces mélodies qui donnent envie de chanter à tue-tête, de pleurer, de partager, d’aimer. Et de résister ». Oui, résister aussi, une discipline d’éveil qu’il pratique régulièrement, en particulier à travers son implication dans le réseau iMuzzic et les projets du batteur Bruno Tocanne, qu’il s’agisse de la série de ses rêves (5 New Dreams, New Dreams Now, 4 New Dreams), de l’i-Overdrive Trio ou du collectif Libre(s)Ensemble. Ici aussi, il est question de liberté et d’exigence.
Si, à l’instar du Brass Fantasy, Songs, le précédent disque de Docteur Lester, faisait la part belle aux reprises de thèmes popularisés dans d’autres sphères musicales (Nirvana, AC/DC, Queen, Muse, ainsi que plusieurs emprunts à des musiques de films - Les Simpsons, La Ligne Rouge) via un travail de réécriture partagé par l’ensemble des musiciens, No Way ! [3], cette fois, n’est constitué que de compositions originales, toutes signées Gaudillat.
Ce disque est fait de moments d’explosion et pétri d’une vraie joie collective. C’est notamment le cas de « No Way ! », la composition éponyme, qui était déjà le deuxième mouvement de la « Suite For Libre Ensemble » ; ou bien encore ce final malicieusement intitulé « C’est ouvert », dont le thème cérémonieux évoque des cors de chasse avant de basculer vers une valse bancale qui nous renvoie au Liberation Music Orchestra. Il fait aussi la place à des instants plus méditatifs, aux intonations parfois classicisantes (l’introduction de « L’attente », par exemple).
Mais il est d’abord un véritable espace de liberté, ouvrant la porte à des compositions savantes sans être didactiques (« Brooklyn Bridge » ou « Counterpoint In Moscow »), qui savent prendre le temps de s’élaborer et d’accorder à chacun des solistes les moments d’exploration qui leur sont nécessaires. On se gardera d’en citer un plus que l’autre tant la contribution de chacun participe à l’équilibre souriant de l’ensemble. Même si on peut avoir une pensée toute particulière pour Vincent Laibe, seul à la batterie pour affronter le chœur des cuivres et lui assurer une belle réplique. Notons aussi la présence d’un invité, le tromboniste Glenn Ferris, qui vient ici ajouter sa propre couleur sur deux morceaux. Ainsi, « En douceur » étire avec lui un long blues éthéré rehaussé d’une bonne dose de suavité qu’il déverse avec toute la gourmandise qu’on lui connaît. Lui aussi a dû goûter l’énergie du Docteur Lester, et se sentir en bonne compagnie avec ces huit musiciens dont la fraîcheur est communicative.
Si le plaisir de jouer et l’enthousiasme semblent être les conditions sine qua non de l’existence d’une formation, encore faut-il parvenir à les traduire dans la réalité de la musique. A ce petit jeu, Docteur Lester fait mouche et communique son ébullition qui n’est jamais exempte d’une nécessaire rigueur. No Way ! est un disque « partageur », une offre de plaisir qu’on ne se paiera pas le luxe de refuser.