Entretien

Baptiste Trotignon

Avec son disque Fluide, le pianiste gagne tous les paris.

Le pianiste breton est arrivé en seconde position derrière Jean-Michel Pilc au titre du meilleur
musicien français de l’année 2000 à l’Académie du Jazz, médaille d’argent donc.
Le Django
d’Or du meilleur espoir 2001 pour son disque Fluide ne fait que consacrer les
qualités de
ce musicien délicat et inspiré. Analyse de la genèse d’un disque, premier album en leader
paru en
juin 2000, dont les effets médiatiques ont été immédiats et perdurent encore.

- Ce trio est votre groupe régulier. Comme avez-vous choisi ou réuni ces musiciens ?

Clovis Nicolas, le bassiste, je le connais depuis longtemps. On jouait ensemble à l’époque du collectif Nuits Blanches. Il vient aussi de province, du sud. On a une vraie amitié. J’aime le son qu’il a. Il a une notion acoustique très précise, une grande qualité. Il est très solide rythmiquement, mais il cherche toujours à utiliser le plus de facettes possibles de la contrebasse.

Quant à Tony Rabeson, le batteur, c’est un génie. Carrément. Sans parler de la mise en place, de la technique, qu’il maîtrise, je savais que tout ce que je recherchais sur le plan sonore, il le trouverait tout de suite. Je l’ai rencontré dans un bœuf, on a joué quelques morceaux comme ça. Il a une alternance binaire-ternaire permanente qui me plaît énormément. Il a une palette de nuances du pianissimo au fortissimo extrêmement large, ce qui est rare. Il a une très bonne oreille, il a une faculté quasi-télépathique de comprendre les intentions du soliste, en même temps, et non pas après ! Il suit tellement le soliste qu’il est imparable. Clovis peut jouer dans les graves, il est tranquille. Cela crée une souplesse. Nous sommes libres dans la musique. Il n’y a pas d’impératif de soliste.

- Aujourd’hui, vous êtes leader mais vous restez membre de groupes réguliers.

Je joue avec les frères Moutin et Sylvain Beuf. C’est un bon groupe avec lequel j’aime jouer. La musique est assez dure, cela demande vraiment de la concentration, on joue sur une corde raide. On a fait un disque chez Shaï. Les couleurs musicales des frères Moutin ne sont pas seulement
jazz, elles sont aussi très rock. Il faut suivre ! Je suis aussi le pianiste du quartet de Jérôme Barde (avec Vincent Artaud et Daniel Bruno-Garcia) et on va sortir un disque bientôt.

- Vous vous sentez pianiste et organiste ?

Non, je suis pianiste. J’ai joué de l’orgue, et j’en joue encore, mais cela ne m’apporte pas ce que je cherche. Je préfère le piano. Pourtant, j’aime bien jouer avec Christian Brun et Stéphane Fouchet,
à l’orgue.

- Le projet du disque est né quand ?

Il y a longtemps que j’avais envie d’affirmer un son de trio. Je voulais mettre ma musique en boîte. En tant que sideman on joue rarement les thèmes. Je voulais jouer ces thèmes. C’est possible en trio. La thématique du trio m’intéresse. Il y a une notion de phantasme dans la musique. On entend des sons, on souhaite que cela se concrétise. Le trio me le permet. J’apprends, je concrétise les thèmes que j’entends, je les couche sur le piano.

- Pour un pianiste, la formule du trio permet de se mettre en avant. Pourtant cette formule est éculée au sens où l’on trouve une multitude de trios. En quoi celui-ci n’est pas « un trio de plus » ?

Ah, si j’avais fait un quartet… cela aurait été « un quartet de plus » !

- Exact, sinon pour se mettre en avant, il y a aussi le solo.

Oui, mais c’est pour plus tard… Je l’ai déjà fait pour Radio France, c’est effectivement un challenge, mais cela me tente. Enfin, pour revenir au trio, je me pose la question suivante : comment faire pour que mon trio sonne juste et reflète réellement ce que j’entends ? Je réponds à votre question,
non ? Je ne prétends pas réinventer le trio, comme certains. Je pense qu’un disque est réussi si le résultat correspond à une vérité intérieure de l’artiste. Il n’y a pas moins de musique lorsque le disque ne crée pas de révolution ! Dans ce sens, je considère que mon disque est réussi, il correspond à ce que je voulais.

- Il y a un mélange de standards et de compositions sur le disque. Quels ont été les motifs déterminants pour choisir les thèmes ?

Il y a certaines versions de standards que j’adore et qui m’ont poussé à les jouer à mon tour. « I’m a fool to want you », c’est grâce à Bilie Holiday. La mélodie me parle, la chanson m’obsède, je veux la jouer. « Bernie’s tune », c’est parce que lors d’un rappel de concert, nous l’avions joué et cela avait
donné un résultat fantastique, alors je l’ai gardé. This is new est un thème très peu joué, j’ai relevé la grille car elle me plaisait. C’est de Kurt Weill. Pour « My shining hour », j’ai une version de Coltrane en tête. Finalement il n’y a pas que des ballades sur ce disque. C’est assez enlevé. « Not for Debby » est une valse, « Onuca » est binaire… ça vient d’un exercice au conservatoire que me faisait faire François Théberge.

- Parlons des compositions. Vous écrivez souvent de la musique ? Quelles sont vos influences ?

Non, je suis assez laborieux. J’ai du mal à être satisfait. Je mets du temps à sortir un thème, je le remanie, j’enlève, je rajoute. J’ai toujours fonctionné par assimilation d’éléments, je ne suis pas un courant particulier. J’essaie d’intégrer différentes facettes de ce qu’est le piano dans la musique
pour en dégager mon identité. Je pioche par petites touches pour construire mon univers. Et puis j’ai tellement joué en sideman que je passais d’un style à l’autre, du jour au lendemain. Je veux maintenant explorer un peu plus un univers musical défini, le mien.

- Le disque est né quand ?

Il y a longtemps. Il a été enregistré en mai 1999. Il a mis du temps à sortir parce que comme souvent dans le cas d’un « jeune musicien de jazz français », c’est le chemin de croix pour trouver un label… Il a été fait en deux jours, sans préparation. C’est un disque impromptu. Les compositions étaient déjà jouées en concert, alors ce fût comme un concert privé. Si j’avais à
l’enregistrer aujourd’hui, il y aurait peut-être plus de compositions à moi, moins de ternaire. Mais je revendique toujours ce disque. Je compte dessus pour la suite.

- Que s’est-il passé avant ce disque ?

J’ai beaucoup joué en sideman. J’ai fait partie du collectif Nuits blanches, né au Petit Opportun. Ce collectif s’est élargi, des groupes se sont formés et surtout, nous avons bénéficié d’une petite notoriété qui nous a amené à rencontrer d’autres musiciens. Ensuite, chacun a suivi sa route. Je
jouais encore dans le groupe de Claudia Solal. J’étais l’organiste d’Umberto Panini, avec Claude Egéa et Stéphane Guillaume. J’ai aussi joué avec Eric Lelann et Ricardo Del Fra, avec les groupes de Pierrick Pedron, de Jean-Christophe Beney… puis toutes les collaboration régulières, les concerts, les bœufs… le Jazz Unit, Alex Tassel, Olivier Temime, Capt’ain Mercier…