Chronique

Christophe Marguet Quartet Résistance Poétique

Buscando la luz

Sébastien Texier (as, cl, a cl), Bruno Angelini (p), Mauro Gargano (b) et Christophe Marguet (d).

Label / Distribution : Le Chant du Monde

Fondé en 1938 par Léon Moussinac, Le chant du monde propose au sein de la galaxie Harmonia Mundi un catalogue jazz éclectique qui ne transige pas avec la qualité, de la série « Jazz Characters » concoctée par André Francis au Sacre du Tympan, en passant par Patrice Caratini, Michel Portal, l’ONJ, Simon Goubert… ou Christophe Marguet. Buscando la luz, troisième album du batteur publié par le label d’Arles, donne l’occasion à Sophie Chambon et Bob Hatteau de croiser leurs plumes.

• Bob : Résistance Poétique, deuxième album de ce quartet, après Itrane sorti en 2008, aurait-il trouvé sa configuration de croisière ?

• Sophie : On garde la même équipe quand elle est gagnante et fait un aussi beau travail ! Et avec cette formation, Christophe Marguet poursuit et prolonge le travail entrepris à la naissance du quartet « Résistance Poétique ». Très sensible au travail de fond sur la texture sonore, en tant que batteur, il travaille, triture, prend grand soin de « malaxer » les sons, aime t-il à dire.

• Bob : La pérennité d’un groupe est un bon moyen de construire un environnement sonore personnel. Marguet le confirme à propos de « Résistance Poétique » : « Nous avions envie de prolonger l’histoire de ce groupe (quatre ans d’existence), d’en approfondir le son et aussi l’écoute mutuelle ».

• Sophie : Ça se sent à l’écoute de l’album, vibrant et foisonnant : cette stabilisation de l’équipage ainsi attelé lui permet de continuer, d’explorer des terres encore vierges. Le répertoire est écrit tout spécialement pour chacun des « copains » - tous de fortes personnalités musicales - qui composent le quartet et façonnent ce son assez unique, ce que l’on appelle un son de groupe.

• Bob : Marguet a composé tous les thèmes de Buscando la luz, titre qui fait référence à l’œuvre monumentale du sculpteur espagnol Eduardo Chillida. À relever aussi la belle illustration de pochette : des fleurs en papier plantées sur une plage, tournées vers le soleil… Le quartet, lui, semble plutôt chercher la lumière du côté de la mélodie : nostalgique pour « Les parades d’I », romantique sur « What A Glorious Day », sentimentale avec « Il est là », majestueuse dans « L’attente » ou encore harmonieuse pour « La méduse ». D’ailleurs, comme dit Marguet lui-même : « Nous avons pris une direction qui s’inscrit dans la continuité mélodique de l’album précédent, Itrane, tout en développant un répertoire un peu plus fouillé et plus sensible, qui rend compte du potentiel de l’orchestre et qui, je crois, le met en valeur ».

• Sophie : Il est vrai que dans ces nouvelles compositions on trouve encore plus de mélodie et d’harmonies que sur Itrane. Avec la même configuration acoustique qui nous avait impressionnés en concert durant l’été 2009 au Festival Jazzcampus en Clunisois : densité d’un espace rempli, voire chargé, et qui manquait parfois de respiration. Était-ce le live ?

• Bob : Mais c’est peut-être justement grâce à cette densité musicale et à la force de jeu des quatre musiciens que les développements mélodiques évitent l’écueil de la mièvrerie (cf.« What A Glorious Day »).

• Sophie : Une alternance de thèmes, en tout cas : « La méduse », tout en tension-détente, « What a Glorious Day », ballade qui finit dans un chuchotement, avec une dimension presque romantique donnée par le piano de Bruno Angelini. À ce propos, présentons les musiciens de « Résistance Poétique » : Sébastien Texier est un fidèle de la première heure (Marguet a fait une partie de son apprentissage avec le père, le contrebassiste Henri Texier, dont il a gardé l’empreinte).

• Bob : D’ailleurs, l’esprit de « Two Hands For Eternity », qui ouvre l’album, est clairement dans la lignée de Texier père : ambiance touffue due aux volutes du piano sur un ostinato rythmique, et à la clarinette basse en contrepoint. Au fil des ans, Texier fils a réussi à développer une personnalité musicale propre : volontiers emphatique au saxophone alto (« What A Glorious Day »), quelque part entre Cannonball Adderley et Art Pepper, son jeu se tend à la clarinette (« Les parades d’I », « L’attente », « Two Hands For Eternity »). Dans tous les cas son propos reste captivant.

• Sophie : Citons ensuite la paire rythmique, fabuleuse, le « couple » idéal Angelini au piano / Mauro Gargano à la contrebasse. Écoutez-les, pour vous en convaincre, sur le très court duo « Il est là » : 2’58 de bonheur !

• Bob : Angelini est visiblement marqué par la musique contemporaine (« Enfin ! », « Il est là ») ; on note dans son discours un refus systématique de la facilité et des fulgurances qui apporte beaucoup de relief au quartet (« La méduse »)…

• Sophie : Sous des dehors tendres, Angelini démontre ici une vigueur pianistique insoupçonnée. Ses folles embardées rappellent que la musique de Buscando la luz est écrite certes, mais que l’improvisation collective y trouve sa place. La liberté est toujours mise en jeu par des espaces d’improvisation qui vrillent parfois les nerfs, percés de stridences de clarinette. Comme dans « L’attente », par exemple : les grincements de contrebasse qui frotte, tels des battements d’ailes plus inquiétants que mélancoliques : on est en suspens, en attente, de celle qui rend fou, le temps d’un moment incandescent, le cœur à nu, les nerfs à vif.

• Bob : Quant à Gargano, son jeu attentif, léger et varié lui permet de s’adapter à toutes les situations, de la walking souple (« Two Hands For Eternity ») à un solo mélodieux (« What A Glorious Day » et « Il est là ») en passant par des effets d’archet (« L’attente »). Le tout servi par un son clair mais sonore.

• Sophie : Dans le long solo - comme il les aime - d’« Enfin ! », Marguet cherche à canaliser sa formidable énergie : on le sent attentif et inquiet, prêt à bondir, perpétuellement prêt à se lancer dans une nouvelle quête, insatisfait sans doute, rageur et obstiné. Il compose au piano et avoue qu’avec le temps, ce sont les nuances qui deviennent capitales.

• Bob : Outre ses talents de compositeur, Marguet allie puissance (« Enfin ! ») et musicalité (« Ma méduse »). Son jeu omniprésent maintient constamment le quartet sous pression (« L’attente ») et donne une réelle homogénéité à Buscando la luz.

• Sophie : Il faut dire que Régis Huby est ici conseiller artistique… Le cinquième homme. C’est lui qui a fixé l’ordre des morceaux et on sait à quel point celui-ci est fondamental pour assurer l’unité, l’équilibre, la cohésion d’un album…

• Bob : Qui sait ce que Résistance Poétique espère en « attendant la lumière » ? En tout cas une chose est sûre : le quartet encuentra la musica… Et ce disque est tout simplement réjouissant.