Chronique

Renaud Garcia-Fons

La vie devant soi

Renaud Garcia-Fons (b, comp), David Venitucci (acc), Stéphan Caracci (vib, dms, pads).

Label / Distribution : E-motive records

Pour catalan assumé qu’il soit, Renaud Garcia-Fons n’en est pas moins natif de Paris. Ce qui jusqu’à présent n’avait pas forcément sauté aux oreilles d’un public séduit par les couleurs voyageuses de sa musique, au service de laquelle le contrebassiste met une virtuosité qu’il sait ne pas rendre démonstrative. Avec lui, l’archet est autant porteur de chant que de percussions et son jeu en pizzicato file volontiers le parfait amour avec le doigté d’une guitare flamenca. L’ensemble de sa discographie (une douzaine d’albums en tant que leader depuis Légendes en 1992) a exposé un talent sans équivalent, dont l’un des sommets est sans nul doute Solo (The Marcevol Concert), disque live enregistré en solo en 2012. Ses dernières productions discographiques furent l’occasion de duos : d’abord avec le Stambouliote joueur de kemençe Derya Türkan en 2014 pour Silk Moon, puis avec le pianiste Dorantes pour Paseo A Dos en 2015.

Pour mener à bien La Vie devant soi, cet adepte du corps à cordes retrouve l’esprit de groupe avec un trio dont les éclats instrumentaux semblent faire écho à la tonalité plus terrienne de la contrebasse. Ce qui n’empêche jamais Renaud Garcia-Fons de les suivre sur leur terrain très solaire à la moindre occasion. Rappelons une fois encore les vertus chantantes de son archet, au point qu’à certains moments on a l’impression qu’il siffle les mélodies. Si David Venitucci a déjà fait entendre les envolées de son accordéon aux côtés du Catalan au temps de La Línea Del Sur en 2009, Stéphan Caracci (vibraphone et percussions) fait son entrée dans le cercle mélodique du contrebassiste. Le Marseillais est loin d’être un inconnu, ne serait-ce qu’en raison de sa présence dans différentes formations telles que Big Four, Ping Machine ou Slugged. Une nouvelle équipe donc, à la mise en place sans faille, pour un répertoire dont le fil rouge est Paris. Soit onze dédicaces à une poignée d’artistes ou personnalités qui en sont, selon Renaud Garcia-Fons, les représentants - ou du moins ceux qu’il avait envie d’évoquer pour traduire la dimension si particulière et cosmopolite d’une cité-carrefour. Charles Trenet bien sûr, l’auteur de « Revoir Paris » qui est le prétexte à une composition homonyme mais aussi Raymond Queneau, Jacques Prévert, Robert Doisneau, Michel Simon ou bien encore Sempé et Goscinny. Plus près de nous, Oxmo Puccino est le prétexte à une évocation de la vie trépidante des Parisiens (« A peine debout, c’est déjà la course », une phrase extraite de « Demain peut-être »). Aussitôt des souvenirs affleurent, des images en noir et blanc défilent, le disque devient avec beaucoup de simplicité une évocation alternant légèreté et instants plus méditatifs, entre ballades, valses et compositions bondissantes.

La Vie devant soi, dont le titre provient du roman de Romain Gary alias Émile Ajar, est un disque qui vient aussi rappeler que Renaud Garcia-Fons « a écouté Satie et Debussy avant de découvrir Munir Bashir… » [1] Une envie d’autre chose en quelque sorte, et un évident plaisir à se lancer dans un périple urbain dont on revient doucement étourdi. Surtout, ce qui frappe à l’écoute de La Vie devant soi, c’est sa proximité avec nous, spectateurs attendris de cette bande-son amoureuse, comme si Renaud Garcia-Fons avait pour un temps laissé de côté le caractère majestueux, pour ne pas dire cérémonieux, de sa musique avant de s’abandonner à une déambulation au niveau des humains. Ce disque se veut un plaisir simple, celui de l’émerveillement face aux petites histoires du quotidien. Ce qui ne l’empêche pas, bien stimulé en cela par ses deux partenaires en grande forme, de faire une fois encore la démonstration de son talent hors du commun et de sa technique fulgurante.

par Denis Desassis // Publié le 5 mars 2017

[1Joueur d’oud irakien considéré comme l’un des plus grands de tous les temps.