Chronique

Renaud Garcia-Fons

La Linea del Sur

Renaud Garcia-Fons (cb), David Venitucci (acc), Kiko Ruiz (g), Pascal Rollando (perc), Esperanza Fernandez (voc).

Mine de rien, avec une vraie discrétion, comme à pas feutrés, Renaud Garcia-Fons trace de disque en disque et de concert en concert un subtil chemin de lumières, celles de la Méditerranée et de l’Amérique Latine qu’il ne cesse de revisiter depuis de longues années. Parce que cet homme humble et élégant parvient à chaque fois à nous envoûter au premier coup d’archet en faisant régner sur sa musique un doux parfum de jazz et de flamenco dont les fragrances sont comme gorgées de soleil. Une musique de chaleur et de bien-être qu’on peut consommer sans modération tant ses effets sont immédiats et bénéfiques.

Avec Garcia-Fons, on respire, on se sent vibrer, en harmonie. On sait qu’il est de ces musiciens qui ne font qu’un avec leur instrument : sa contrebasse, qu’il peut électrifier s’il le faut, et dont il sait faire surgir des stridences électriques [1], a hérité il y a longtemps d’une cinquième corde car Renaud Garcia-Fons est, outre un compositeur instrumentiste virtuose, un soliste à part entière et un improvisateur de premier plan. On en a eu une démonstration éclatante sur Arcoluz, (2005) où, le temps d’un concert filmé dans la magnifique salle de Schlauss Elmau (Allemagne) [2], il illumine son trio de l’époque une heure durant à force d’inspirations sans doute nées de cet environnement magique. Son chorus, tant en pizzicato qu’à l’archet, sur « Berimbass », est un modèle de lyrisme et de rythme ; dans ces instants habités par la grâce, on se surprend à faire silence…

Alors quand sort un nouveau disque, quand une formation renouvelée propose une autre aventure, on fonce les yeux fermés parce qu’on sait que le plaisir sera là, comme toujours. Et l’on a raison, une fois de plus. La Linea del Sur [3] est en quelque sorte l’expression de ce Sud imaginaire – celui « qui réunirait de multiples racines musicales ayant en commun la recherche d’un chant profond » – ce Sud qui inspire toute la démarche artistique de Renaud Garcia-Fons, probablement depuis sa naissance. Ce disque, le huitième sous son nom, pour lequel le contrebassiste s’est appuyé sur de magnifiques photographies de Javier Arcenillas – certaines d’entre elles étant reproduites dans le livret -, permet de retrouver Kiko Ruiz [4] à la guitare flamenca, ici entouré par l’accordéoniste David Venitucci, le percussionniste toulousain Pascal Rollando et, le temps de trois chansons, par la chanteuse de flamenco Esperanza Fernandez.

Ces cinq-là nous délivrent onze pièces lumineuses, onze chroniques douces et intenses, jamais trop sucrées, qui confirment Renaud Garcia-Fons comme un créateur d’univers sans véritable équivalent tant son propos est singulier. Un créateur à qui on ferait volontiers profession de foi ! Lui au moins nous propose un monde meilleur,sans attendre un hypothétique au-delà. Il faudrait être bien bête pour ne pas s’y aventurer.

Rappel discographique (Enja Records) :

  • Légendes (1993) (album enregistré en solo) ;
  • Alborea (1995), avec Jean-Louis Matinier, Yves Torchinsky et Jacques Mahieux ;
  • Oriental Bass (1997) ;
  • Fuera (1999), en duo avec Jean-Louis Matinier ;
  • Navigatore (2001) ;
  • Entremundo (2004), en trio avec Kiko Ruiz et Jorge Trasante ;
  • Arcoluz (2005), live en trio avec Kiko Ruiz et Jorge Trasante (un CD + un DVD) ;
  • La Linea del Sur (2009).
par Denis Desassis // Publié le 25 mai 2009

[1Comme sur Navigatore (2001).

[2Malheureusement ravagée par un incendie peu de temps après.

[3Enja/Harmonia Mundi.

[4Présent sur les deux précédents disques en trio, avec le percussionniste Jorge Trasante.