Sur la platine

Yann Joussein, l’électronique des déserts

Panorama de deux sorties du batteur du collectif COAX


Yann Joussein © Laurent Poiget

Douze ans après la sortie d’un solo qui fit date, Le Phoque éventré], qui annonçait toute une série de réflexions sur la notion de solo et d’extension électronique de l’instrument au sein du collectif COAX, on retrouve le batteur Yann Joussein dans deux disques qui perpétuent cette idée et la confrontent à des atmosphères plus rock et une direction de plus en plus synthétique : un solo, le premier depuis tout ce temps, ainsi qu’un duo avec le poly-instumentiste Sheik Anorak, qu’on avait déjà entendu dans Boolvar avec Delphine Joussein.

Keep The Bastards Honest partage avec Phoque éventré sa couleur jaune et son goût pour les boucles ; à première vue, lorsque s’installe le lancinant « You Can Do It », on aurait tendance à penser que la comparaison s’arrête là. Le dernier album solo de Yann Joussein a marqué l’évolution du batteur, et des collaborations comme Tribalism3. La boucle électronique est forte et a une puissance hypnotique ; davantage qu’un paradigme franchement électronique, les débordements de la batterie font songer a quelques racines krautrock mutantes, une influence que l’on pouvait déjà déceler chez Joussein et qui irrigue ici le long morceau.

Le jeu du batteur, d’abord franchement virulent, s’affine à mesure que le morceau s’installe. On retrouve très vite, au milieu des ronflements des machines, la finesse des percussions et des trouvailles qui offrent une ciselure, dont l’aspect ouvragé éloigne franchement de l’explosion. Il en va de même avec « Free The Music » qui tient du manifeste : sur une nappe presque industrielle, la batterie joue d’abord avec beaucoup de précision avant de filer franchement vers le chaos, l’électronique agissant comme un étau. Le son est devenu le cœur du travail de Joussein, qui trouve avec ce nouveau solo la déclinaison d’une approche toujours aussi pertinente.

On pourrait songer que Håla Duett serait résolument différent. Sur le papier, c’est l’évidence, les influences de ce duo ancien que Yann Joussein partage avec Sheik Anorak vont du rock touareg, omniprésent dans l’hypnotique « Jnoun Medina », et quelques résidus d’électricité new-yorkaise, sensibles dans le très sec « Fassité », où la guitare du patron de Gaffer Records est presque aussi minérale que sa voix au sonorités lointaines et étranges.

Asák est un disque surprenant et envoûtant : on sait très vite où veut en venir Håla Duett, dans un lieu chimérique où la transe est centrale et rude. Si Sheik Anorak est un guitariste puissant, amateur des atmosphères grasseyantes où le son rechigne à toute forme de pureté, il trouve dans le drumming de Joussein, puissant sans perdre en finesse, un allé de poids. Il y a dans Håla Duett le tumulte des grandes villes et la sécheresse des déserts. On pourrait songer à une opposition de points de vue, à une rupture, c’est au contraire une brillante fusion qui trouve dans « Mutuwar Mutuwar » sa plus belle expression, la guitare semblant s’extirper d’une tempête de sable quand la batterie évoque le grognement d’une mégapole. Une musique captivante qui s’inscrit pleinement dans le travail de Yann Joussein.