Sur la platine

Fanny Ménégoz, éloge de l’Endroit

Portrait de la flûtiste en quelques pistes.


Fanny Ménégoz est de ces musiciennes qu’on est jamais surpris de retrouver dans les orchestres remarquables. Un temps membre du Surnatural Orchestra et du Healing Unit de Paul Wacrenier, on l’associe surtout, et depuis de nombreuses années, aux travaux du label Onze Heures Onze et singulièrement à la Fanfare XP de Magic Malik, l’une de ses influences majeures. Si ces derniers mois, elle a principalement brillé au sein de l’ONJ, de Dracula à Ex Machina, on la retrouve avec son quartet Nobi, ou aux côtés du guitariste du collectif Pince-Oreilles Romain Baret, pour deux albums où l’imaginaire très influencé par la littérature fantastique et la conscience écologique nourrissent un propos très moderne et poétiquement glaçant. Un paradoxe pour un monde en feu.

Les Vertes Brumes de Nobi ne sont pas les algues vertes, mais il y a dans la rythmique d’airain du quartet, dans cette rigueur mathématique directement issue du M-Base de Steve Coleman, quelque chose qui parle d’un monde qui n’est pas le nôtre ; qui n’est plus le nôtre. Pour accompagner la flûtiste, toujours très avant sur « Vertes Brumes » mais aussi sur l’excellent « Elle est plusieurs à entendre », on retrouve la force de frappe qui avait fait le charme du premier album. Avant toute chose, c’est l’alliance entre le vibraphone de Gaspar José et la contrebasse d’Alexandre Perrot qui fonde le son de l’orchestre, qui le situe dans un univers tangible que la flûtiste défriche. À la batterie, Ianik Tallet vient apporter toute une polyrythmie qui fait amalgame et confère à l’univers de Fanny Menegoz toutes sortes de dénivelés.

Il y a de l’étrangeté dans ce lieu imaginaire dessiné par Nobi. La flûte y baguenaude en observatrice, jouant avec les timbres très complémentaires de la pâte orchestrale. « Traqué » en est un parfait exemple, le vibraphone sonnant une révolte portée par la batterie et rendue urgente par l’archet d’une contrebasse devenue la véritable base solide de l’orchestre. Fanny Ménégoz en jaillit comme une pointe saillante, prête à tous les combats. On comprend, en lisant le texte dans la pochette, que dans tout cet imaginaire, il est question d’homme-oiseau et de villes-épaves. Comme un sentiment de post-apocalypse dont se nourrit l’orchestre, et qui définit au mieux une musique hors du temps mais pleinement ancrée dans un lieu rêvé par la flûtiste.

C’est une tout autre approche qui définit la musique pensée par le guitariste Romain Baret, à laquelle participe également la flûtiste. Fanny Ménégoz y apporte cette même sensation d’imaginaire, mais qui s’incarne cette fois-ci dans le monde réel ; le quintet, où l’on découvre la jeune batteuse Elvire Jouve, propose une lecture sans pathos d’une civilisation qui sombre. Pas avec les pleurnicheries habituelles des c’était mieux avant, mais avec le regard clinique des militants pour le climat qui savent que, des chasseurs-cueilleurs jusqu’à la taylorisation (remarquable morceau « There Will be Ford » où l’on retrouve la rugosité du guitariste du collectif Pince-Oreilles), notre monde a programmé sa perte.

Essor et Chute offre parfois des temps plus plantés dans un jazz contemporain, proches de ce que peut proposer le Kami de Pascal Charrier (« L’aubaine de la guerre – L’auberge de la haine ») avec une approche très politique, où la rage sourd derrière le discours. La force de frappe de Baret alliée à la basse de Michel Molines y contribue pleinement. On retrouve dans ce disque le goût de Ménégoz pour l’unité de lieu et l’installation dans un espace propice à la narration, comme le confirme « A l’approche du point de bascule ». Fanny Ménégoz y installe un son très personnel, une approche très sensible de son instrument. Un morceau où la température monte imperceptiblement, comme pour mieux illustrer un propos d’une grande pertinence.