Chronique

Dennis Gonzàlez NY Quartet

NY Midnight Suite

Dennis Gonzàlez (tp), Ellery Eskelin (ts), Mark Helias (b), Mike Thompson (d)

Label / Distribution : Clean Feed

Le trompettiste texan d’origine mexicaine Dennis Gonzàlez est un grand conteur (comme le prouvent ses interventions sur le forum américain Jazz Corner) avec tout ce que cela implique de magie (voir son site personnel). Dans ce nouvel album, on retrouve pleinement ce talent narratif : dans ces courtes mélodies qui servent de tremplin à l’improvisation après avoir évoqué une image ou un moment en quelques notes, dans ces solos qui enfilent les perles mélodiques comme autant de demi-citations dont on aurait oublié la provenance, et enfin dans ces titres dont l’énumération suffirait presque à décrire la musique.

Globalement, ce quartet se situe dans la vaste descendance du grand quartet d’Ornette Coleman (originaire du Texas, comme Gonzàlez) : c’est du free qui craint si peu la mélodie et le rythme qu’il laisse le soin à chacun de trouver les siens tout en tendant l’oreille vers les autres. La trompette de Gonzàlez est d’une richesse condensée, c’est-à-dire qu’elle semble renfermer de nombreuses informations timbrales et mélodiques dans un tout petit espace. On attribue souvent l’invention du free jazz à Orenette Coleman, mais il me semble qu’un album comme The Shape of Jazz to Come a autant participé au recadrage ou à l’élargissement du champ mélodique du jazz que son contemporain Kind of Blue. Gonzàlez a fait son apprentissage auprès de grands maîtres du free, avant de revenir progressivement à la mélodie ; il est donc bien placé pour apprécier ce double héritage.

On l’aura compris, ici il n’y a pas de hiérarchie entre leader et accompagnateurs. Hors de son trio, le jeu du saxophoniste Ellery Eskelin s’adapte merveilleusement au contexte avec des phrases dont le soin apporté aux attaques, contours et textures ne cesse de surprendre. Le tandem rythmique exécute des exercices de haute voltige : walking, chabada, swing, sont ici dans l’esprit, dans les contrastes avec des textures parfois vaporeuses et statiques. Interaction, coopération ou défis, l’imagination et l’entente ne faillissent jamais. Mark Helias est un accompagnateur déséquilibriste, et un soliste impressionnant. Moins connu que ses trois collègues, Mike Thompson ne dépareille pas : coloriste qui n’oublie pas le groove, il oeuvre relativement discrètement mais avec une grand créativité à tirer une multitude de nuances de ses cymbales et toms.

Les six compositions signées Gonzàlez sont arrangées de manière assez similaire ; mais grâce à leur ouverture d’esprit, on ne s’en lasse pas : solos et duos, mélodies et contre-chants, avec quelques ruptures ou figures d’accompagnement pour relancer le tout aux moments cruciaux. Les trois premiers morceaux composent la suite qui donne son titre à l’album : brumeuse, indécise et plutôt statique sur « Angels of the Dark Streets », elle devient brusquement plus enjouée et swingante avec « Runaway Taxi Uptown ».

« Hymn for the Elders » nous transporte de New York vers le Sud rural pour un spiritual lent dont le caractère est renforcé par des harmonies simples et évidentes, un rythme régulier et le large vibrato du trompettiste. L’album se clôt avec « New Short Song », où Gonzàlez reste placide et concentré sur la mélodie alors que Thompson et Helias fournissent un accompagnement furieux. La dernière note du trompettiste, triste, prolongée, troublante, résume à elle seule l’impact de ce disque remarquable.