Chronique

Clément Janinet

Danse ?

Clément Janinet (vln), Hugues Mayot (cl, bcl, ts), Joachim Florent (b), Emmanuel Scarpa (dms)

Label / Distribution : Gigantonium

Danse ? Le titre de l’album du violoniste Clément Janinet tient de l’injonction contradictoire, impératif présent et néanmoins point d’interrogation. A moins que ce ne soit une vraie question : Qu’est-ce que la danse  ? Vous avez quatre heures… Avec certains de ses vieux amis de Radiation 10, et notamment Hugues Mayot aux clarinettes et au ténor, il explore la question dès « Une ronde ?  » en forme d’invitation et de corollaire à ce qui va suivre ; forme relativement minimaliste, tentation chambriste avec les percussions d’Emmanuel Scarpa et le dialogue permanent avec la contrebasse de Joachim Florent. Puis vient l’intégration parcimonieuse de formes répétitives, qui est la véritable colonne vertébrale de cet album que l’on perçoit immédiatement comme très abouti. « Un pas de 4 » est l’occasion de perpétuer une atmosphère de légèreté et de concorde, propice à l’abandon, la seule condition de la danse. La contrebasse est très mobile, la batterie extrêmement agile. Mayot, dans un rôle assez proche de son Arbre Rouge, tient la narration avec un Janinet efficace qui fuit toute virtuosité et tout tirage de couverture à soi. Danse ? est un objet collectif.

On se souvient de O.U.R.S, le premier album du violoniste chez Gigantonium qui accueille de nouveau Janinet. Il convoquait Ornette Coleman et Steve Reich, et si le premier est plus éloigné de la danse, le second flotte avec une certaine insistance - c’est la moindre des choses - sur l’album, jusqu’à même être cité dans le très beau « Steve Reich in Babylon ». Le morceau est connu, il était joué par Radiation 10. La version du quartet, totalement acoustique, cherche davantage le mouvement que la force de frappe. La clarinette basse de Mayot progresse de front avec la contrebasse de Joachim Florent qui signe la musique. C’est Yves Robert, invité sur quelques morceaux de l’album, qui offre l’échappatoire à la coulisse d’un ostinato joliment fermé, comme un cercle circassien qui se transforme peu à peu en riff punkisant. De la danse traditionnelle au pogo final, quoi de mieux pour évoquer la danse ?

Car la force de cet album, c’est d’arriver à insuffler les tourneries d’un folklore imaginaire dans la forme par essence très rigoriste de la musique répétitive. L’exemple le plus frappant est certainement « Dans le sol » qui a des allures de bourrée extra-terrestre, avec une clarinette basse qui tape du pied pour imprimer le rythme. Le quartet relève le défi de faire entrer un langage très moderne dans des formes réputées anciennes, à l’instar de « Polka » où Janinet s’en donne à cœur joie pour explorer les soubresauts de la danse et de la répétition d’un thème aux allures traditionnelles avec une contrebasse obstinée. Le quartet est libre et fougueux, nécessité impérieuse pour avoir envie de danser. Il faudra beaucoup de courage à l’auditeur pour tenter de ne pas bouger les pieds à l’écoute de cet album : il y a fort à parier que ceux-ci d’ailleurs n’en fassent qu’à leur tête. Parole de chroniqueur musical qui, comme chacun le sait, aime à danser à propos d’architecture [1].

par Franpi Barriaux // Publié le 23 février 2020
P.-S. :

[1Bon mot zappaïen : « Ecrire sur la musique, c’est comme danser à propos d’architecture »…