Chronique

De Chassy, Minvielle, Laurent

Trenet, en passant

Guillaume de Chassy (p), André Minvielle (voc), Géraldine Laurent (ts).

Label / Distribution : La C.A.D. / LAutre Distribution.

Il y a vingt ans paraissait un disque dont le souvenir est encore vivace : Chantons sous les bombes célébrait à la fois la vieille union entre le pianiste Guillaume de Chassy et Daniel Yvinec, futur directeur de l’ONJ, et les chansons cathartiques de la période de l’Occupation et de l’immédiate après-guerre, déterritorialisées par André Minvielle. De Trenet à Piaf en passant par Bourvil. Aujourd’hui paraît Trenet, en passant. Pour un amoureux de la chanson française comme De Chassy qui, de Barbara à L’Âme des poètes, a toujours aimé leur rendre hommage, c’est un petit jardin secret (et extraordinaire, c’est attendu). Avec André Minvielle, les allitérations et les pièges, le swing des suaves syllabes, des labiales syncopées s’imposent comme une via ferrata pour grimper les sommets ultimes de la langue. Le choix du « Débit de l’eau, débit de lait », tout en cabotinage et groove ronronnant, en est une des multiples promenades de santé.

Ici, les penchants virtuoses de Trenet prennent le pas sur les récitations mitterrandiennes. On retrouve même avec un plaisir certain le beau texte du « Soleil et la lune », petit bonheur de scat que le piano de De Chassy fait mieux qu’habiller : il le met en scène. Il ponctue, comme un slapstick supplémentaire que la saxophoniste Géraldine Laurent adoucit et place encore un peu plus dans un contexte de chanson jazz. On regretterait presque de ne pas retrouver Yvinec à la contrebasse, mais il s’acquitte ici d’un rôle de directeur artistique pour donner la plus belle image de Charles Trenet.

Car derrière les bluettes un peu rigolotes qu’on chantonne sans y penser, comme « La folle complainte », il y a un spleen, un blues que le trio rend à son propos premier, celui d’une chanson sur la guerre et le déchirement sous un voile frivole ; appelons-le pudeur. Trenet en passant, et sa belle reprise de « Je chante », est un album réjouissant et sautillant mais aussi plein de poésie, ce que De Chassy et Minvielle savent faire à merveille. Après Bobby Lapointe et Prévert, le chanteur nous invite à le suivre par les chemins tortueux de la poésie pour des clairières de plaisir. Un grand sourire.