Gaume Jazz Festival, havre de paix 🇧🇪
40e édition du festival de la province belge du Luxembourg.
Pour fêter une édition qui marque les 40 ans d’existence du festival, l’organisation a vu grand. 25 concerts, près de 120 musicien·ne·s et une thématique « Jazz for Peace » en résonance avec le fracas du monde. Le grand parc de Rossignol a reçu la visite d’un public nombreux, plus nombreux que l’édition précédente, et la météo clémente n’a pas trop perturbé le fil narratif.
- @ Gaume Jazz Festival
Cet anniversaire était aussi l’occasion pour Gaume Jazz d’inviter quelques professionnel·les du jazz pour venir rendre compte et pour participer à des tables rondes, l’une sur le jeune public et les actions possibles pour faire découvrir le jazz à un potentiel futur public, l’autre sur l’importance pour les structures européennes d’être en réseau, quitte à superposer et multiplier les entrées et les liens. Il faut souligner que la Belgique présente une complexité administrative liée à ses différentes communautés linguistiques qui fait pâlir de jalousie la France, pourtant à l’aise avec les méandres administratifs ubuesques…
Rien n’entame la bonne humeur belge, pas même le souvenir ému de la chanteuse Jodie Devos, décédée brutalement alors qu’elle avait reçu une carte blanche pour cette édition. Son portrait ornait chacune des scènes, comme pour conjurer sa disparition.
Pendant trois jours, à un rythme rapide, se succèdent les concerts, d’une scène à l’autre. Un grand contingent de groupes belges est présent et quelques productions internationales viennent s’y mêler.
- Benjamin Moussay et Youn Sun Nah @ Gérard Beckers / Gaume Jazz Festival
Parmi les concerts entendus, avec toujours un public attentif et réceptif, on peut en souligner quelques-uns. Le duo Benjamin Moussay et Youn Sun Nah a fait un tabac. Ces deux-là se connaissent sur le bout des doigts [1] depuis le temps qu’ils pratiquent. Ce programme dédié aux chanteuses historiques s’ouvre avec une belle reprise de « Feeling Good » de Nina Simone et enchaînera avec d’autres reprises très connues, mais vidées de tout superflu, pour ne laisser qu’une trame légère, que la voix de Youn Sun Nah fait flotter. Sans effet, avec une posture minimaliste sur scène, elle ressemble – aux côtés de Moussay – à une estampe.
- Thérapie de couple © Christian Deblanc
Plus tard, c’est la « bande à Erdmann » qui prend possession de la grande scène. Thérapie de couple est ce programme qui tourne en ce moment et dont nous avions parlé lors de sa présentation à Jazzahead en 2023. Un assemblage de musicien·ne·s franco-allemands qui, comme en matière de vinification, fait le bon vin. Puissant et rond, légèrement fruité, avec un soupçon de macération. Eva Klesse, la batteuse allemande, est remplacée ici par son collègue Moritz Baumgärtner. La pulsation est rapide, les solos sont pris à tour de rôle, avec de l’espace dans le cadre pour laisser le temps à l’expression. Sur le désormais mythique titre « I Wanna Hold Your Hand, François » qui évoque le moment où Kohl et Mitterrand se tiennent main dans la main à Verdun en 1984 pour signifier une réconciliation définitive entre les deux pays, le trio de cordes (Théo Ceccaldi, Vincent Courtois et Robert Lucaciu) ouvre le bal avec souplesse pour laisser place au solo magnifique de Vincent Courtois, comme il se doit. L’écriture de Daniel Erdmann a ceci de particulier qu’elle peut être dense et complexe sans rien perdre de sa lisibilité. Même avec des tutti emballés, on entend tout, chaque ligne, chaque instrument. Le groupe va enregistrer ce répertoire pour le label hongrois BMC en début d’année prochaine, Citizen Jazz y assistera.
- Tania Giannouli trio @ Gaume Jazz Festival
Avec la pianiste grecque Tania Giannouli en trio, on s’attendait à un voyage étonnant, ce fut le cas. La formule proposée (vraiment différente de son solo) convoque les rythmes en 6/8 du bassin méditerranéen, ses rythmiques aux lentes pulsations tournantes, ce roulis ensoleillé typique. L’oud de Kyriakos Tapakis ne fait rien d’autre que d’évoquer une nostalgie orientale. Les pièces se suivent avec des structures similaires, un thème et de minuscules variations qui viennent bruisser. Le trompettiste Jakob Bänsch, très jeune, est époustouflant. Ses interventions se fondent à celles du piano, la combinaison est parfaite. Aussi la pianiste ne cesse d’explorer différentes pistes musicales, sans craindre ni l’aventure expérimentale, ni la tradition réconfortante.
Le groupe Inui – lauréat Jazz Migration qui tourne à un rythme soutenu – a présenté son répertoire vocal et percussif. Les arrangements vocaux sont tirés au cordeau avec de nombreux décalages et contrepoints efficaces. L’assise rythmique du groupe permet une narration en séquences très lisibles. La chorégraphie des deux vocalistes n’apporte pas grand-chose au propos, c’est superflu.
On retient encore le trio du Gaumais (entendez le régional de l’étape) Johan Dupont, au piano. Devant un chapiteau plein, il délivre une musique énergique et cadrée, comme un bon « power trio » qu’il est. Celui qui suit, le trio du pianiste Fabien Fiorini, monte le niveau d’un cran. Avec comme sidemen le bassiste Nicolas Thys et le batteur Dré Pallemaerts, on est transporté dans l’ambiance d’un club de New York, à l’ère post-bop, devant un public resserré et attentif.
- Edredon Sensible © Gérard Beckers
En matière de concerts de fin de soirée, on peut évoquer celui du Amazing Keystone Big Band pour un hommage à Judy Garland (que devait chanter Jodie Devos) qui a beaucoup plu et celui d’Édredon Sensible, trio de barbares en chemises hawaïennes qui ont mis le feu à la piste de danse devant la scène avec leur musique technoïde punk. Même si tous leurs concerts se ressemblent, ils n’en restent pas moins roboratifs.
Ce qu’il faut retenir de ce festival, c’est avant tout une affaire d’unité. Unité de temps et de lieu, le village de Rossignol dans sa quasi-entièreté est mobilisé pendant trois jours. Unité de traitement entre les artistes, les technicien·ne·s, les bénévoles et les invité·e·s qui permet à tout le monde de se croiser et de parler, dans le même espace.
Et surtout, la programmation que Jean-Pierre Bissot propose chaque année, entre groupes belges, classiques et modernes, avec un mélange de genres assumé qui permet de toucher un grand nombre de personnes. Pourvu que ça dure.