La Cozna
Ni nuit, ni jour
Clémence Baillot d’Estivaux (cello, voc), Clémentine Ristord (cl, bcl, objets), Pierre-Antoine Despatures (b), Benjamin Garson (g) + Bruno Ducret (cello)
Label / Distribution : Raffut Collectif
La cuisine (Cozna, en savoyard) est une pièce importante pour le Raffut Collectif. Ces musiciens de Grenoble avaient marqué les esprits en présentant avec succès ce bijou de quartet qu’est Petite Lucette, lorgnant à la fois dans la musique populaire et les musiques créatives sophistiquées, servi par des musiciens comme la clarinettiste (et chanteuse) Clémentine Ristord. Cette dernière est à l’origine de La Cozna, projet ambitieux qui s’attache aux musiques traditionnelles de l’ouest de l’Europe, majoritairement celte (bretonne, morvandelle, berrichonne), mais aussi du Dauphiné, comme cette belle « Marguerite », qu’on connaissait collectée par les Piémontais de Trouveur Valdotèn. Mais Ni nuit ni jour n’est ni trad ni folk : avec les guitares raffinées de Benjamin Garson, qui connaît bien les climats liés à la géographie et aux populations, et le contrebassiste de Lucette Pierre-Antoine Despatures (« La Chasse », d’une grande finesse), Cozna apporte la noirceur des musiques répétitives, en laissant une large place à l’interprétation, au climat.
L’ombre de Gabriel Yacoub, trop souvent réduit à Malicorne, plane sur ce disque. On se souvient de Bretch qui habitait ces chants, et « Les Transformations », où le violoncelliste Bruno Ducret vient prêter archet et voix, est à ranger dans le même climat. Mais ici, tant par l’instrumentarium chambriste choisi que par l’étrangeté réclamée, il y a une volonté de s’approprier le patrimoine et de le faire vivre, de le transcender comme le faisait Yacoub. Cela doit beaucoup au violoncelle et à la voix de Clémence Baillot d’Estivaux, qui habite littéralement l’album et offre à ses compagnons l’occasion de développer des climats brumeux et interlopes où l’on croit retrouver les désirs d’évocations magiques et irréelles des trouvères médiévaux, qui constituent la grande majorité de la présente collection (« La Jardinière », remarquable échange entre Ristord et d’Estivaux sur une guitare lointaine de Garson).
C’est sans doute avec « Blanche Biche » que l’orchestre offre sa plus belle évocation. La chanson [1] est d’habitude très éthérée, avec une indigestion de harpe celtique : seul Tri Yann en avait fait une interprétation plus étrange, qui sied mieux ; La Cozna en livre une lecture d’une beauté profonde, noire, où l’étrangeté et le bruitisme d’un tutti puissant transporte la poésie populaire dans un symbolisme qui rappelle le Caravage ou Enguerrand Quarton. Cela contribue à laisser transparaître un féminisme pas si anachronique qu’on voudrait le croire au long d’un album envoûtant (« Quand j’étais fille à marier »).