Chronique

Robin Antunes & Benjamin Garson

Trablos

Robin Antunes (vln), Benjamin Garson (g).

Label / Distribution : Tchokotchok

Il y a quelque chose d’absolument touchant dans Trablos, l’album du duo qui réunit Robin Antunes et Benjamin Garson. D’abord parce que le disque est un voyage unique vers Tripoli, ville du Liban située face à Chypre et proche de la Syrie, à moins de cent kilomètres de Homs. Touchant parce que les cordes du violon et de la guitare semblent capter la respiration de la cité, un souffle inquiet, sombre parfois (« Double aiguille »), mais aussi plein d’espoir (« Aux aurores » où les rumeurs de la ville viennent s’amalgamer au travail du violon, dans un registre très étendu). Touchant aussi parce qu’on perçoit dans chacun des lieux choisis par le duo un véritable attachement, peut-être davantage aux personnes qui leur ont ouvert la ville qu’aux pierres, perçues comme un prolongement de l’âme vivante de Tripoli.

C’est aussi une manière assez directe pour Garson et Antunes de se livrer : leurs instruments sont souvent préparés (« Private Joke »), et paradoxalement ces masques rendent le son plus fragile, laissant toute la place à une émotion qui ne fait pas l’erreur de pleurer à chaudes larmes ; c’est une parole contenue, profonde, qui nous fait découvrir la ville, comme dans « Au milieu du chaos » qui ouvre l’album dans les lointains bruits de klaxon. On perçoit une profondeur qui nous révèle le côté extrêmement périlleux de la ville, et en même temps sa quiétude. Le soleil nimbe l’archet de Robin Antunes, mais la guitare entame ce moment de douceur par une dureté lancinante. La pause est intranquille, et l’on comprend vite que c’est le quotidien, voire l’âme de la ville qui est ici dévoilé. Idem avec « /Souk », enregistré in situ : la guitare avance à pas comptés dans les entrailles de la ville. C’est un court morceau, un précipité des rues de la cité qui nous la fait comprendre sans avoir besoin de mots.

Ceci n’est pas un carnet de voyage, c’est une opération à ville ouverte. Robin Antunes a fait partie du très beau Ville Totale d’Ellinoa, et il y a dans cette approche tripolitaine quelque chose de semblable, une cartographie sensible qui fait vivre une géographie sensible et transcendante, quelque chose qui se rapproche aussi de Mons Tumba qui interrogeait les pierres pour sonder les âmes, et les lier indéfiniment. Il y a quelque chose de très poignant dans la découverte par ces deux jeunes musiciens de leur musique propre, de ce qui les anime, sans postures ni contraintes stylistiques, et que la ville en soit l’écrin. C’est une épiphanie.