Chronique

La Table de Mendeleiev VII

Liber Azoth

Guillaume Grenard (tp), Andrea Parkins (acc, elec, fx), Fred Meyer (g), Christophe Gauvert (b), Thibaut Martin (dms)

Label / Distribution : L Arbre-Canapas

Après le VI, vient le VII. En alchimie comme ailleurs, il y a des logiques, des proportions, des adjuvants et des recettes maison ; il en va de même pour Guillaume Grenard et sa Table de Mendeleiev. Et même si entre deux, il y a eu Dark Poe, Nadja ou encore les Plutériens, la logique mathématico-syncrétique du quartet et ses particules élémentaires ne semblent pas avoir connu de modification sensible. On retrouve dans le Second Mouvement, mélange bien corsé de Polonium (PO84) qui s’incarne dans la contrebasse toujours aussi précise de Christophe Gauvert et une pincée de Radium (RA88) dans un maelström d’abord plein de douceur qui vire à l’inquiétude avec la guitare de Fred Meyer. Quelque chose a changé pourtant : les dosimètres s’affolent. Les éléments chimiques présents sont tous radioactifs, et peu importe si la trompette joue l’air de rien un phrasé clair et rassurant à la Dutilleux, la contamination est sévère, ça luit et ça suinte de partout. Sans doute la présence de l’accordéon d’Andrea Parkins, en cinquième élément.

Est-ce la figure new-yorkaise qui fait évoluer La Table de Mendeleiev vers des contrées plus obscures, où la batterie de Thibault Martin crépite comme s’il comptait les millisieverts et les incantations magiques ? Sa présence est à coup sûr l’occasion pour les membres du collectif l’Arbre Canapas de réinterroger leur musique. De continuer aussi dans une cartographie braxtonnienne des particules qui s’articulent entre elles et deviennent mutagènes. C’était déjà la volonté d’Atalanta Fugiens, qui cherchait dans le rock comme dans la musique contemporaine tout en ne négligeant pas une certaine tradition du jazz européen et des folklores imaginaires. Mais que dire du Troisième Mouvement, lorsque Bismuth [1] (« BI83 ») vient secouer les atomes de Francium (« FR87 ») ? Tout s’enchaîne avec une fluidité rare bien que le danger plane dans les artefacts électroniques d’Andrea Parkins.

Si Liber Azoth est de l’alchimie, c’est bien parce qu’il y a, traversant tout le disque, une dose de mystère qui débute dès le premier mouvement, comme un marasme qui vient, un chaudron qui bouillonne, une dissolution qui se fait progressivement et acquiert de nouvelles couleurs. La guitare s’entraîne comme une courroie, la trompette ponctue de radiations de chaleur, l’accordéon tourne dans un ostinato étourdissant, la prise est immédiate et diablement euphorisante. Grenard peut bien nous raconter l’histoire de Paracelse, alchimiste célèbre pour ses avancées médicales au XVIe siècle et sa pensée holistique [2], c’est bien de la propre liberté de son quartet étendu, et sa capacité à inventer de nouveaux terrains d’expérimentation dont il s’agit. Sans rupture, avec le désir au contraire d’articuler l’existant (« rien ne se perd, rien ne se crée, tout se transforme » dit-on ; enfin Lavoisier le dit : on va le croire, il a fait des études), La Table de Mendeleiev se réinvente. Si l’on lit les vieux grimoires, dans Liber Azoth, il est question de soleil et de dragons, mais surtout de produire l’or caché des philosophes. Il est là, dans vos oreilles.

par Franpi Barriaux // Publié le 10 novembre 2019
P.-S. :

[1Non, pas celui-là…

[2Un concept philosophique cher à Braxton, tiens, tiens…