Portrait

Pedro Melo Alves, musicien total

Présentation du batteur et compositeur portugais Pedro Melo Alves.


Cela fait plusieurs années maintenant que le nom de Pedro Melo Alves circule sur les lèvres des amateurs de jazz et de musiques créatives. Nous l’avons notamment entendu auprès de musiciens portugais importants : João Paulo Esteves da Silva, Luís Vicente, Ricardo Jacinto, Pedro Branco, Susana Santos Silva ou Luís Lopes mais aussi auprès de Yedo Gibson, Théo Ceccaldi, Vasco Trilla ou Albert Cirera. A l’occasion de la sortie simultanée chez Clean Feed de deux albums (Lumina avec son Omniae Large Ensemble et Free Development of Delirium avec son groupe déjanté The Rite of Trio), il était grand temps de lui consacrer un portrait.

Né en 1991 à Porto, Pedro Melo Alves commence la musique dix ans après. Leçons de batterie et de piano à l’école du coin, puis études supérieures de batterie jazz à la réputée Escola Superior de Música e Artes do Espectáculo de Porto (ESMAE). Après deux années scolaires, il quitte l’institution et délaisse quelque peu la batterie pour se consacrer au piano classique et jazz qu’il apprend en parallèle. En 2015, il migre vers la capitale portugaise pour y apprendre la composition à la Escola Superior de Música de Lisboa (ESML). Il y remporte le prix de composition lors de la deuxième édition du concours Bernardo Sassetti (du nom du célèbre pianiste portugais mort prématurément en 2012 à l’âge de 41 ans), ce qui lui permet d’enregistrer un premier album sous son nom avec son Omniae Ensemble.

Paru en 2017 sur le label lusitanien Nischo Records (qui abrite un autre jeune talent portugais, l’accordéoniste João Barradas), l’Omniae Ensemble est un orchestre de sept jeunes musiciens aux dents longues : outre le batteur de Porto, on retrouve le saxophoniste alto José Soares, le trompettiste Gileno Santana, le tromboniste Xavi Sousa, le pianiste Zé Diogo Martins, le guitariste Mané Fernandes et le contrebassiste Filipe Louro. Des musiciens de la même génération que le batteur, rencontrés pour certains dans les écoles où celui-ci a étudié. Melo Alves dirige l’ensemble et signe trois des six compositions. Les trois autres sont de Bernardo Sassetti. Les arrangements, du batteur. La musique d’Alves mêle des éléments disparates issus de divers champs musicaux (musique contemporaine, jazz, rock) qui, sous sa plume, s’agrègent en un grand tout cohérent et lumineux. L’album fut acclamé par la critique portugaise et lança véritablement la carrière du batteur.

On le repère ensuite en 2018, avec le groupe The Rite Of Trio dans un album sorti trois ans auparavant et intitulé Getting All The Evil of The Piston Collar ! Il est accompagné de Filipe Louro et du guitariste André Bastos Silva. Comme l’écrivait Raphaël Benoit à l’époque, le trio « passe sans sourciller d’un swing entraînant à une ambiance rock façon seventies. Il aime brouiller les pistes et jouer avec l’auditeur qui s’expose à de multiples soubresauts. »

En 2019, il est au casting de l’album Scintilla du groupe Catacombe (dont il fait partie depuis l’album Quidam sorti en 2014) en compagnie des guitaristes Pedro Sobast et Filipe Ferreira et du bassiste Gil Cerqueira pour une aventure aux franges du rock et de l’électricité.

En 2020, il sort un album en solitaire Zero of Form, sous titré Études de batterie préparée ; Pedro Melo Alves y démontre, vidéo à l’appui, toute l’étendue de sa technique et toute son inventivité. Le jeu sur les timbres et la finesse de ses frappes instillent une grande musicalité au propos.

La même année, il sort chez Clean Feed un album passé un peu inaperçu, In Igma. Entouré par des habitués du label portugais (Ève Risser, Mark Dresser et Abdul Moimême), ainsi que par un trio de vocalistes (Aubrey Johnson, Beatriz Nunes et Mariana Dionísio), il propose une musique proche des musiques contemporaines, abstraite et parfois ardue où la voix (comme instrument) joue un rôle central. L’album met en lumière l’originalité des compositions d’Alves ainsi que sa science des arrangements, déjà entrevue avec son Omniae Ensemble.

Depuis le début de l’année 2021, Pedro Melo Alves est partout. On le retrouve à l’affiche de cinq albums : outre les deux sorties que nous évoquions en introduction, il participe aux albums de Luís Vicente et du guitariste argentin Javier Subatin. Il enregistre également un duo avec le percussionniste Pedro Carneiro, intitulé Bad Company. Carneiro est au marimba, Melo Alves à la batterie préparée. Face à face. Pas de grandes effusions mais une musique tout en délicatesse et retenue où l’écoute de l’autre est essentielle.

Le trio du trompettiste Luís Vicente est un habitué des colonnes de Citizen Jazz. Outre le trompettiste et le batteur, on retrouve également Gonçalo Almeida à la contrebasse. Sur des compositions du leader, les trois compères délivrent une musique brûlante d’émotion, agrégeant avec beaucoup de justesse la trompette aiguisée et libertaire de Vicente, la contrebasse épaisse et profonde d’Almeida et les percussions inventives de Melo Alves. Chanting In The Name Of est une belle réussite. Il est sorti juste avant l’été sur le label Clean Feed.

Pour finir, évoquons l’album Mountains du guitariste argentin (mais qui vit au Portugal) Javier Subatin où Pedro Melo Alves tient la batterie. Le contrebassiste Demian Cabaud complète le casting. Tout au long de l’album, le batteur se fond parfaitement dans l’univers mélodique du guitariste. Tout en sobriété, il apporte beaucoup de variations et de couleurs, grâce à son jeu vif et toujours inspiré.

D’autres collaborations qu’il développe surtout en concert l’occupent tout au long de l’année : Caco.Meal avec João Carlos Pinto aux platines pour une musique qui tire vers la techno, un trio électro-acoustique piano/basse/batterie baptisé Symph avec Hugo Antunes et José Diogo Martins ; un autre, Preto Mate, avec les violoncellistes Ricardo Jacinto et Joana Guerra autour d’une musique de chambre improvisée ainsi que divers duos réguliers notamment avec le percussionniste João Pais Filipe (qui lui fabrique une grande partie de ses cymbales) ou le guitariste Pedro Branco.

Il compose également pour le théâtre et la danse et s’occupe de la gestion et de la programmation d’une salle de spectacle transdisciplinaire, Ermo do Caos (avec son comparse André Bastos Silva et l’actrice Inês Garrido) dans sa ville natale de Porto.

Comme nous avons pu le constater tout au long de ce portrait, Pedro Melo Alves est un musicien touche-à-tout hyperactif. En tant que compositeur, il ne s’interdit rien, mélangeant les genres avec beaucoup d’inventivité. Éclectique, esthète et inventif, il explore tous les champs de la création dans une urgence qui semble n’avoir ni limites ni frontières. Et c’est tant mieux pour nos oreilles !