Comme ce fut le cas chez de nombreux musiciens, les contours de ce solo imaginé par Rémi Fox furent esquissés durant le confinement de 2020. Ne pouvant se produire avec d’autres musiciens, le saxophoniste a entrepris chez lui la composition de son Rêve éveillé. La création de cet album a été par ailleurs associée, à l’initiative de Tournesol, Artistes à l’hôpital, à un cycle d’ateliers sur la création électroacoustique auprès d’adolescents en service psychiatrique du Centre Hospitalier Théophile Roussel à Montesson. La musique a été composée et enregistrée à Sopot en Pologne, dans un studio d’enregistrement et une grotte troglodyte à Saumur, dans une forêt, un hôtel, une gare…
On se réjouit de découvrir Le rêve éveillé en raison même de la personnalité très attachante de Rémi Fox, qu’on avait pu suivre notamment au sein du trio nOx.3 (souvenons-nous des albums Nox Tape ou encore de Ingett Nytt avec Linda Olah), ou aux côtés de Riccardo Del Fra au temps de l’album Moving People. L’exercice solitaire n’étant jamais sans risques, le saxophoniste a eu l’intelligence de convoquer toutes les musiques qui le nourrissent (Moyen-Âge, électro, jazz, musique sérielle ou minimaliste, gamelans balinais, krautrock, ambient, improvisation…) pour mieux les dépasser et modeler un environnement sonore très personnel au moyen de différents boîtiers d’effets. Composé de trois « Tableaux » s’enchaînant en toute fluidité, Le rêve éveillé est un voyage qui s’avère d’une nature très particulière. Il faudrait plutôt évoquer un « voyage immobile » – en d’autres temps, on l’aurait peut-être qualifié de planant – et d’une tentative réussie de suspension du temps. Parfois des voix se font entendre (on reconnaît notamment celle de Jean-Luc Godard), le souffle du saxophoniste peut devenir une source de percussion, quelques bruits du monde extérieur surgissent çà et là, plus ou moins lointains (on pense parfois au travail en solitaire d’un autre saxophoniste, Lionel Martin), les différents effets venant donner naissance à de multiples combinaisons de nappes sonores. Et lorsque surgit le thème ici plus céleste que jamais de « Spiritual » de John Coltrane, on retient sa respiration devant ce qui s’apparente à une offrande. Dont on retrouvera la mélodie au cœur de l’« Appendice » final introduit par une pulsation techno aux contours brumeux.
Le rêve éveillé porte bien son nom : incitation à la contemplation et au retour sur soi, il est aussi une invitation à entrer « au cœur du son » et dans son mystère, à suivre pas à pas des « traces sonores ». Et à se souvenir s’il en était besoin que Rémi Fox est un musicien passionnant.